La Fondation Heinrich Böll a publié en juin 2020 un Atlas des insectes qui propose des analyses illustrées d’infographies et d’indicateurs économiques. Ce rapport tire la sonnette d’alarme sur le sort des insectes dans le monde et les causes et conséquences de leur déclin.
Les entomologistes évaluent le nombre d’espèces d’insectes sur Terre à plus de 5 millions. Seul 1 million d’espèces ont été décrites. Face aux menaces qui pèsent sur les écosystèmes aujourd’hui, de nombreuses espèces sont menacées d’extinction avant même d’avoir été rencontrées et nommées.
Ce phénomène peut sembler sans importance et de ce fait être fortement minimisé. D’aucuns, qui ne considèrent les insectes que comme des sources de problèmes, trouveraient même peut-être ceci bénéfique pour l’humanité, et, en tout cas, tout à fait adapté à leur propre confort. Hélas, cette perte de biodiversité est pourtant très inquiétante. Les insectes jouent un rôle capital dans les écosystèmes, y compris dans les paysages agricoles. On parle de services écosystémiques. Près de 90 espèces d’insectes prennent part à la protection biologique contre les ravageurs. Les insectes constituent une source de nourriture pour d’autres animaux (les oiseaux…). Ils décomposent les matières organiques. Ils contribuent à la fertilité du sol. Ils nettoient les réserves d’eau. Ils pollinisent les plantes à fleurs, ce qu’il est inutile de préciser aux apiculteurs.
La valeur économique des services de pollinisation est aujourd’hui chiffrée et on se rend compte qu’elle n’est pas négligeable.
Peut-on considérer que la publication des données économiques en lien avec les services écosystémiques est une bonne tactique pour protéger les insectes? Ces chiffres peuvent-ils concurrencer les profits gigantesques liés au commerce des biocides?
Les pesticides sont un des premiers facteurs dans la disparition des insectes. Comme on peut le voir sur cette carte du monde, la consommation en tonnes par pays est colossale dans les pays dont l’économie agricole est prépondérante. On notera que la Chine emploie à elle seule 1/3 des pesticides mondiaux. Pour la petite histoire, le géant suisse Syngenta a été racheté en 2016 par ChemChina. Pour donner une idée de l’ampleur prise par l’économie de la mort, dans les années 1960, cette industrie était évaluée à moins de 10 milliards de dollars américains avec une centaine de principes actifs différents. Aujourd’hui, le secteur pèse plus de 50 milliards de dollars américains avec environ 600 ingrédients actifs différents!
Les pesticides tuent les insectes directement et indirectement. L’utilisation fréquente d’herbicides réduit fortement la diversité des plantes et appauvrit les réseaux trophiques des insectes. On peut donc dire que même si les pesticides ne sont pas considérés mortels, ils le sont en réduisant progressivement la vitalité et la capacité de reproduction des insectes, en contrecarrant leur capacité à trouver des ressources et en augmentant leur vulnérabilité aux maladies.
Si, grâce aux ONG, des progrès sont réels dans l’utilisation des pesticides au sein de l’Union européenne, ce n’est pas le cas partout dans le monde et on ne peut que constater que les pays en développement sont moins regardant sur la toxicité des molécules utilisées en agriculture. Le cas du Kenya est symbolique de la situation.
Au Kenya, l’agriculture conventionnelle est fortement encouragée à coups d’intrants chimiques. Cela en fait un des pays d’Afrique où la demande en pesticides est la plus élevée. La plupart des pesticides utilisés au Kenya sont importés de Chine (42%) et d’Europe (30%). Les biocides vendus par les pays européens sur le marché africain sont bien souvent interdits dans l’Union européenne! Les néonicotinoïdes sont massivement utilisés sans souci des précautions d’emploi et ce sont non seulement les pollinisateurs qui sont touchés mais aussi l’activité microbienne et la fertilité du sol. Des niveaux de résidus significatifs sont retrouvés dans le miel, le pollen, les eaux de surface et les sédiments. Cela a un impact direct sur l’apiculture qui nourrit les communautés rurales et cela met en péril la sécurité alimentaire à plus large échelle. Les précautions d’emploi des biocides, qui conditionnent la mise sur le marché des molécules, sont totalement ignorés des agriculteurs kenyans qui pulvérisent en période d’activité des pollinisateurs et à proximité des cours d’eau. Il faudrait des formations, des étiquetages clairs et adaptés et une réglementation stricte. Hélas, la politique de développement agricole à tout prix ne tient compte ni de la pérennité des écosystèmes ni de la santé humaine.
Autre danger qui plane à un niveau mondial, le stress dû au changement climatique modifie la relation entre les ravageurs et les organismes bénéfiques et réduit la tolérance des plantes cultivées aux attaques des ravageurs. Ceci pourrait entraîner une spirale négative dans l’utilisation de biocides chimiques. En parallèle, les pollinisateurs sont également soumis au stress climatique, plus sujets aux maladies, confrontés à un développement en décalage chronologique avec les floraisons.
Il faut plus que jamais répéter que les insectes et, parmi eux, les pollinisateurs, sont nécessaires au monde végétal qui est la base du monde dans lequel nous vivons et qui nous offre une alimentation variée et nourrissante. Au-delà des profits à court terme, c’est bien à long terme qu’il faut envisager les choses pour que soient maintenus vivants les écosystèmes. De même, ce sont des mesures globales qu’il faut envisager et pas des régulations territoriales. L’usage inconsidéré de la chimie en agriculture et sylviculture ne peut que précipiter un changement radical du monde qui aurait des conséquences irrémédiables sur la santé environnementale et sur la santé humaine. Les pollinisateurs, une nouvelle fois, sont en première ligne et permettent de mettre en lumière la gravité du déclin de tous les insectes.