L’Europe travaille actuellement sur le sujet des NGT (Nouvelles Techniques Génomiques) dans l’optique d’assouplir la réglementation concernant ces nouvelles techniques, jusqu’à maintenant soumises aux réglementations des OGM, jugées désormais trop restrictives par l’UE. Une nouvelle proposition législative spécifique aux NGT leur permettrait de faciliter l’utilisation des végétaux issus de ces nouvelles techniques génomiques et pourrait mener par la suite à l’arrivée sur le marché de nouvelles semences et de nouvelles variétés.
Ce sujet inquiète et interroge sur de nombreux aspects, notamment d’un point de vue éthique mais aussi du point de vue de la souveraineté alimentaire. La Fugea, lors de son comité directeur du 26 septembre dernier, a tenu à creuser le sujet afin de se positionner sur la thématique. A cet effet, Mr Kastler, agriculteur français (à Narbonne) expert en la matière et ayant suivi les débats sur le sujet au niveau européen (via la ECVC, la branche européenne de la « Via Campesina ») est venu partager avec nous ses réflexions. L’apiculture étant directement liée au secteur agricole, le CARI était présent pour se tenir informé des dernières actualités et prendre part à la réflexion.
OGM et NGT : quelle différence ?
Les Nouvelles Techniques Génomiques (NGT : New Genomic Techniques) diffèrent des OGM dans le sens où elles ne modifient que les gènes déjà présents dans l’organisme que l’on veut modifier sans y ajouter un gène extérieur venant d’un organisme étranger (contrairement aux OGM qui ajoutent une partie d’ADN étrangère). Cependant, bien que différentes sur cet aspect, ces techniques NGT restent de la manipulation génétique en engendrant des modifications génomiques de manière artificielle.
De quoi faut-il se méfier en ce qui concerne les OGM et ces nouvelles techniques ?
a) Les effets secondaires non désirables
Intégrer un gène étranger dans le génome d’une plante ou d’un animal de manière à ce que cet organisme ait un nouveau caractère déstabilise totalement le génome et peut provoquer d’autres modifications non intentionnelles. C’est, selon Mr Kastler, ce qui a pu être observé à plusieurs reprises dans le cas des OGM.
b) La question de l’utilisation des ces technologies génétiques et des conséquences engendrées sur l’environnement
En ce qui concerne les OGM, les 2 modifications génétiques qui ont eu le plus de succès ont conduit d’une part à l’obtention de végétaux bénéficiant d’une plus grande tolérance aux herbicides et d’autres part à l’obtention de végétaux sécrétant eux-mêmes des insecticides. Les conséquences directes de ces nouvelles caractéristiques sont une plus grande utilisation en herbicides (la culture principale n’étant plus mise en danger par l’application de ces produits) et des semences qui coutent de plus en plus chères. Par ailleurs, une plus grande utilisation des herbicides engendre aussi une résistance des plantes adventices à ces produits et appelle à une augmentation croissante de cette utilisation. Pour ce qui est des sécrétions insecticides directement produites par le végétal, on peut facilement imaginer les dérives négatives sur l’entomofaune pollinisatrice dont font partie nos abeilles. Heureusement, ces types de cultures ne sont pas présentes dans nos pays.
c) Les brevets comme nouvel eldorado de l’industrie et menace de la souveraineté alimentaire
Lorsqu’un·e agriculteur·trice vend sa récolte de céréales en coopérative, un pourcentage de la vente est directement prélevée pour payer les droits de semences à celui ou celle qui a revendiqué un titre de propriété sur la variété de plante cultivée. En France, c’est ce que l’on appelle la « contribution volontaire obligatoire ».
Aujourd’hui, les scientifiques ont réussi ou on la possibilité de séquencer complètement le génome de toutes les semences que l’on connait. Par un exercice de mise en relation des caractéristiques des plantes et du séquençage du génome, ils peuvent désormais attribuer certaines caractéristiques de la plante à une séquence déterminée du génome.
Suite à ce travail, les industries travaillant sur le sujet s’inscrivent dans une démarche similaire au titre de propriété en déposant un brevet (propriété intellectuelle) pour chaque séquence d’ADN qu’elles ont pu associer à un caractère spécifique de la plante. Cependant, il n’y a dans ce cas pas de travail de sélection mais uniquement une mise en relation des caractéristiques des plantes (obtenues suite au long travail de sélection effectué par les paysans) avec les caractéristiques de ces dernières. Ces brevets sur le vivant leur permettent de financer les recherches, sans quoi ces dernières seraient impossibles.
Alors que ce sont les paysans qui ont accepté de partager les résultats de leur long travail de sélection (sur plusieurs générations) avec les conservatoires,… ils se retrouvent désormais face à des contraintes de taille suite à la déposition de ces brevets par les firmes. Il est par exemple probable que des agriculteur·trices par sélection et croisements naturels de leurs variétés obtiennent ou ont déjà les séquences génomiques sur lesquelles l’industrie a déposé des brevets. Ces agriculteur·trices pourraient alors être victimes d’amendes pour utilisation illégale de séquences génomiques brevetées. En effet, selon la loi, le brevet s’étend à tout organisme qui a le gène et qui exprime ses fonctions brevetées. On est à mille lieues du tribunal du bon sens ! Demain, il est possible qu’un paysan ayant sélectionné un pois chiche démontrant une meilleure tolérance aux insectes ne puisse plus le cultiver, étant coincé par les brevets de grosses multinationales. Ce qui est pervers dans cette déposition de brevet, c’est que contrairement aux titres de propriété qui s’appliquent uniquement aux caractéristiques phénotypiques de la plantes (caractéristiques visibles au champs), le présence d’une séquence génomique brevetées ne se voit pas directement sur la plante. De plus, 70% de l’industrie des semences et de l’agrochimie est aujourd’hui entre les mains de seulement 3 sociétés fusionnées (Dow-Dupont, ChemChina-Syngenta, Bayer-Monsanto).
En ce qui concerne les NGT, les industries visent à poursuivre ce processus de déposition de brevets pour agrandir encore leur monopole et générer davantage de bénéfices. Les NGT représentent une porte ouverte supplémentaire à la déposition de ces brevets et cela peut également mener à des situations perverses. On peut facilement imaginer qu’un·e agriculteur·trice qui utilise ses propres semences se retrouve contaminé par un croisement de ses céréales avec des céréales issus de techniques NGT et par conséquent risque d’être pénalisé par de lourdes amendes (de la part des sociétés détenant le brevet) pour utilisation illégale de ce matériel génétique,… alors qu’il cultive ces végétaux NGT à son insu et certainement contre son grès. Les plantes modifiées par ces technologies et auxquelles l’on a apporté ces nouvelles caractéristiques étant parfaitement semblables phénotypiquement aux plantes d’origine qui ne possèdent pas cette modification, il est très compliqué pour l’agriculteur·trice de s’en rendre compte. La contamination des semences par les cultures NGT pose donc beaucoup de questions ! Si ces semences sont lancées dans la nature, comment ferons-nous pour garantir qu’il n’y a pas de contamination des autres cultures ? Cette situation est totalement contraire aux valeurs paysannes, les paysans revendiquant le droit de choisir leurs propres semences, de les produire eux-mêmes et de savoir ce qu’ils utilisent. Une nouvelle technologie tel que les NGT risque d’accroitre la dépendance des agriculteurs aux semenciers mais aussi d’engendrer des conséquences irréversibles sur la diversité génétique du monde agricole.
d) Une diminution de la diversité génétique
Comme on peut déjà le constater par les croisements réalisés par les firmes, il y a une perte de diversité génétique des végétaux. L’objectif de ces firmes par ces croisement étant l’obtention de variétés adaptées à une agriculture standardisée, riche en engrais chimiques, en produits phytosanitaires, etc. Il est effectivement plus simple et plus rentable d’aboutir à une variété adaptée aux engrais chimiques (situation qui devient identique sur l’ensemble du globe) qu’à une multitudes de variétés adaptées chacune à un type de sol en particulier. Dans un contexte de changement climatique, il faudrait plutôt réfléchir à l’inverse en maintenant un maximum de diversité génétique pour faire face aux multiples situations climatiques que nous rencontrerons dans les années à venir.
Les menaces pour le monde apicole?
Dans un premier temps, les plantes OGM qui résistent aux herbicides ou encore les plantes OGM qui produisent elles même des substances insecticides ne présagent rien de bon pour l’entomofaune pollinisatrice dont font parties nos abeilles. Par exemple, les abeilles allant chercher du nectar ou encore du miellat sur les pucerons présents sur ces cultures en seraient directement impactées.
Dans un second temps, nous pouvons émettre quelques réserves sur les nouvelles variétés de plantes obtenues grâce au génie génétique, notamment en ce qui concerne les plantes cultivées mellifères. Il est tout à fait pertinent de s’interroger sur l’aspect qualitatif et quantitatif des sécrétions nectarifères et pollinifères de ces plantes, les méthodes de génie génétique s’intéressant principalement à l’augmentation du rendement agricole des cultures et ne portant guère attention aux sécrétions nectarifères et pollinifères.
Ensuite, il est évident que le secteur apicole n’est pas épargné par ces manipulations génétiques comme on peut le lire sur le site de Nature et Progrès et c’est fortement inquiétant. Il y a notamment eu des recherches pour développer une abeille mellifère plus résistante aux pesticides ou encore pouvant se développer dans un environnement pauvre en ressources environnementales ! L’abeille mellifère étant sentinelle de l’environnement, c’est se voiler littéralement la face que de chercher à développer une telle abeille, en omettant le reste de l’entomofaune pollinisatrice. C’est prendre le problème à l’envers !
Enfin, cet accaparement par les brevets des variétés obtenues par sélection pourrait très bien s’étendre au domaine apicole. Le secteur agricole étant plus juteux que le secteur apicole et étant donc souvent la première victime des grosses firmes, il est important d’en tirer des leçons pour éviter que des histoires semblables n’arrivent dans le secteur apicole. Pourriez-vous imaginer devoir payer une partie de vos reines à de grosses firmes pour une histoire de brevet ? Il faut absolument rester éveillé à ce genre de problématiques et éviter à tout prix toute emprise aussi minime qu’elle soit de l’industrie sur notre secteur apicole. C’était notamment une des raisons pour laquelle le CARI a tenu à participer à ce comité de direction de la Fugea traitant de la thématique.