Notre laboratoire vous informe avoir remarqué du saccharose en proportion élevée dans les miels de printemps.
Sur 120 miels de printemps analysés cette année en banc complet par le laboratoire du CARI, un peu plus de 10% (13 miels) présentent une teneur en sucre saccharose supérieure à 5% tandis que 20% (24 miels) se situent dans la fourchette de 2 à 5% en saccharose.
Cette observation est interpellante puisque la teneur maximale autorisée en saccharose dans la plupart des miels est fixée à 5% par la législation européenne (Directive européenne 2001/110/CE du 20/12/2001), ceci afin de limiter les fraudes par adjonction de sucre. Les quelques apiculteurs concernés par un taux de saccharose trop élevé ne rencontrent pas ce problème les années précédentes. La teneur moyenne en saccharose des miels de Région wallonne se situe généralement sous la barre des 2%. Pour ces miels particuliers, notre laboratoire a également mis en évidence des teneurs plus élevées en sucre erlose (allant jusqu’à 8%) et des valeurs plus élevées de pH, souvent comprises entre 5 et 7.
Ce phénomène concerne uniquement des miels de printemps récoltés en 2023, et issus principalement de Wallonie mais également de France. Une région géographique précise n’a donc pas pu être identifiée. Ces miels ont cependant une caractéristique commune : ils sont tous assez riches en miellat.
Il est bien connu que la sécrétion nectarifère des fleurs est fortement influencée par la température et l’humidité ambiante. En 2023, dès le mois de mai, le printemps est rapidement devenu chaud et sec. Les fleurs se sont donc trouvées en situation de déficit hydrique, ce qui a conduit à une production moindre de nectar, nectar qui était également plus sec, et donc plus visqueux et difficile à prélever par les butineuses. Comme ressource complémentaire, les abeilles se sont donc tournées vers le miellat, ce qui a effectivement été confirmé par les analyses de notre laboratoire puisqu’à côté des nectars de saule et d’aubépine, une forte proportion de miellat a été retrouvée dans les miels.
Dmitri Don, CC BY-SA 3.0 https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0, via Wikimedia Commons
Pour rappel, le miellat est une excrétion sucrée produite par des insectes suceurs de la sève de certaines espèces de plantes. Les miels de miellat présentent des caractéristiques particulières avec généralement une couleur plus foncée et des valeurs plus élevées de pH, conductivité, teneurs en di- et trisaccharides ainsi qu’une teneur plus faible en monosaccharides. Les sucres saccharose et erlose dont il est question sont respectivement des di- et tri-saccharides. Du fait de sa composition, le miel de miellat a souvent tendance à cristalliser moins rapidement. La composition du miellat varie cependant en fonction de l’insecte suceur, principalement des pucerons et cochenilles, et de l’essence de l’arbre. A côté du sapin bien connu, beaucoup d’autres plantes hôtes peuvent fournir du miellat. Les plus importantes sont les érables, châtaigniers, chênes, mélèzes, tilleuls, aubépines et divers arbres fruitiers (liste non exhaustive).
Lors de l’analyse pollinique des miels concernés par une teneur trop élevée en saccharose, nous avons relevé une forte proportion de pollens de la famille des rosacées, et plus particulièrement d’arbres fruitiers et/ou d’aubépines. Le miellat problématique provient donc très probablement de l’une de ces plantes. La liste des espèces existantes de pucerons est néanmoins très longue. Chaque espèce de pucerons est souvent propre à une plante hôte particulière, et leur cycle de vie est varié et complexe. Pour la production de miellat, plusieurs conditions doivent par ailleurs être réunies:
- Conditions climatiques favorables,
- Croissance et développement propices de la plante hôte,
- Développement des colonies de pucerons et sécrétions associées au cycle biologique de cet insecte.
Lorsque ces facteurs propices à une bonne interaction entre la plante hôte et l’insecte suceur sont réunis pour la production du miellat, il faut également que des conditions favorables soient présentes pour permettre la sortie et le butinage des abeilles.
Vous le constatez, le phénomène est complexe. De nombreuses conditions précises ont dû être réunies cette année pour que ce miellat aux caractéristiques très particulières aboutisse dans le miel fraîchement récolté. C’est la première fois que notre laboratoire observe ce phénomène avec autant de récurrence et la littérature scientifique n’en fait pas encore mention à l’heure actuelle concernant les plantes mellifères de nos régions. Sur base des informations dont nous disposons, nous n’avons pas encore pu identifier précisément la plante et le puceron à la source du problème. Il est cependant important de prendre conscience que ce phénomène existe. Le climat évolue, la nature s’adapte et les ressources prélevées par les butineuses changent également. Si ce phénomène persiste, sur base d’études et de résultats complémentaires, il sera alors judicieux d’en tenir compte dans la législation afin de ne pas pénaliser erronément les apiculteurs soucieux de produire un miel de qualité.