A l’occasion de la nouvelle Politique Agricole Commune (PAC) qui prendra place du 1° janvier 2023 au 31 décembre 2027, la Commission européenne propose un nouveau modèle de gouvernance basé sur une plus grande autonomie des Etats-membres. Chacun de ces derniers est tenu de proposer un plan stratégique qui permet l’application de la nouvelle PAC sur son territoire. La Belgique compte à la fois un plan stratégique wallon (PSw) et un plan stratégique flamand (Gemeenschappelijk landbouwbeleid – GLB).
Une première ébauche du plan stratégique wallon a été soumise à la commission européenne en mars 2022. Ensuite, quelques modifications ont dû être effectuées pour répondre aux commentaires et aux exigences de la commission européenne, suite à sa relecture du plan. Lors du PAC Tour, la dernière version du plan a été présentée aux agriculteurs et agricultrices wallon·nes. Voici un rappel du fonctionnement de la PAC ainsi qu’un résumé des éléments importants de ce plan stratégique wallon, en lien avec les pollinisateurs.
Le fonctionnement de la PAC
Les 2 piliers de la PAC
Le premier pilier contribue principalement à l’aide au revenu des agriculteur·trices (74% du budget). Ce pilier dispose des fonds européens agricoles de garantie FEAGA entièrement financés par l’Europe et s’élevant à 1,328 milliard d’euros. Ce premier pilier comprend :
- Les paiements directs (paiement de base au revenu, paiement redistributif, paiement jeune, soutien couplé et les éco-régimes).
- Les interventions sectorielles (Apiculture, fruits et légumes).
Les budgets alloués pour chacune des aides du premier pilier sont repris ci-dessous.
Le second pilier finance le développement rural et les mesures agro environnementales. Il est financé à la fois par l’Europe et par ses États membres. Pour la PAC 2023-2027 en Région wallonne, le second pilier dispose d’un budget de 534 millions d’euros dont 198 millions proviennent de l’Europe et 336 millions d’un co-financement wallon FEADER. Ce pilier comprend :
- Les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC);
- Le soutien à l’agriculture biologique;
- Les indemnités Natura 2000;
- Les indemnités compensatoires dans les zones à contraintes naturelles et spécifiques (IZCN);
- Les aides aux investissements (productifs et non productifs);
- Les aides à l’installation des jeunes agriculteur·trices;
- Les aides au développement des zones rurales (Coopération).
Le schéma ci dessous illustre l’organisation de la PAC selon le premier et le second pilier.
Les objectifs de la PAC
La nouvelle PAC présente neuf objectifs spécifiques (OS) qui sont repris dans les plans stratégiques des états membres. Les objectifs 5 et 6 sont particulièrement intéressants en terme de préservation des pollinisateurs.
- Objectif 5 : Favoriser le développement durable et la gestion efficace des ressources naturelles telles que l’eau, les sols et l’air, y compris en réduisant la dépendance chimique.
- Objectif 6 : Contribuer à stopper et à inverser le processus d’appauvrissement de la biodiversité, améliorer les services éco-systémiques et préserver les habitats et les paysages.
La nouvelle PAC et les pollinisateurs, ce qu’il faut retenir
De manière générale, une prise de conscience opère dans le milieu agricole et les acteur·trices du secteur se préoccupent davantage de la durabilité de leur exploitation et de leur impact sur la biodiversité. La PAC suit le mouvement en élaborant son sixième objectif qui vise à contrer le déclin de la biodiversité. C’est un tournant majeur dans la direction que décide de prendre cette politique agricole commune et donc l’agriculture européenne.
A l’image de cet objectif, plusieurs éléments du premier et du second pilier présentent des aspects intéressants et potentiellement bénéfiques pour les pollinisateurs.
Éléments du premier pilier présentant des aspects positifs pour les pollinisateurs
Parmi les mesures des paiements directs, seules celles présentant un potentiel avantage pour les pollinisateurs sont mentionnées ci-dessous :
- Paiement redistributif complémentaire au revenu (19,5% du budget du premier pilier)
Ce paiement est destiné à soutenir les petites et moyennes exploitations. Dans son plan stratégique, la Wallonie consacre une plus grande proportion de son budget à ce paiement par rapport à la situation actuelle, favorisant ainsi davantage les petites et moyennes exploitations. Cela peut améliorer la qualité du paysage, si l’on considère que cette mesure encourage les exploitations agricoles familiales et paysannes. In fine, une amélioration de la qualité du paysage impacte positivement l’entomofaune pollinisatrice.
- Soutien couplé au revenu bovins et ovins (20,05% du budget du premier pilier)
Ce soutien appelle à une diminution de la charge en bétail. Un critère de charge maximale en bétail par ha de surface fourragère et une modification à la baisse du plafond d’animaux admissibles par exploitation sont fixés. Cette tendance peut s’avérer positive dans une certaine mesure pour les pollinisateurs en permettant une gestion moins intense des surfaces pâturées et ainsi une augmentation de la ressource florale sur ces pâtures.
- Soutien couplé au revenu pour les protéagineux (1,25% du budget du premier pilier)
C’est une nouveauté de la PAC 2023-2027 en vue de soutenir le développement de la filière des protéines végétales, dans un soucis d’autonomie par rapport aux pays tiers de l’Union Européenne. Cette mesure est bénéfique pour les pollinisateurs étant donné le potentiel mellifère de plusieurs de ces cultures (pois protéagineux, fenugrec,…) selon les fiches de l’itsap . L’objectif est d’atteindre les 13 500 ha de ces cultures d’ici 2027 (4 081 ha actuellement).
- Eco-régimes (26% du budget du budget du premier pilier)
Les éco-régimes sont une nouveauté de la PAC 2023-2027 qui remplacent les paiements verts. Ils visent à promouvoir une gestion agricole plus durable, respectueuse de l’environnement et qui protège la biodiversité. Les éco-régimes incitent et récompensent les agriculteur·trices qui adoptent une telle gestion agricole. La région wallonne dans son plan stratégique s’engage à y consacrer 26% de son budget du premier pilier. Il est à noter que la participation des agriculteurs et agricultrices aux éco-régimes est facultative et ne se fait que sur base volontaire. Parmi l’ensemble de ces éco-régimes, certains sont bénéfiques à l’entomofaune pollinisatrice :
- Eco-régime « Cultures favorables à l’environnement »
- Eco-régime « Maillage écologique »
- Eco-régime « Réduction d’intrants »
- Eco-régime « Prairies permanentes »
Ces éco-régimes sont développés dans l’encadré ci dessous.
- Éco-régime « Cultures favorables à l’environnement »
Cet éco-régime encourage les cultures à faibles niveaux d’intrants qui sont entre autre bénéfiques pour la biodiversité. Il s’agit par exemple des cultures de légumineuses fourragères ou encore des cultures sans pesticides. Ce éco régime permet également de compenser le manque à gagner de ces cultures par rapport à d’autres cultures plus productives.
- Éco-régime « Maillage écologique »
Cet éco-régime vise à enrayer le déclin de la biodiversité en encourageant le maintien et le développement de zones favorables (haies, arbres, jachères mellifères, bandes enherbées, mares,…) au sein des terres agricoles. C’est en quelque sorte une rémunération du service environnemental mis en place par l’agriculteur-trice.
- Éco-régime « Réduction d’intrants »
Cet éco-régime encourage vers une transition en diminuant l’utilisation des produits phytosanitaires (lorsqu’une alternative est possible) et vise à compenser les potentielles pertes en rendement dues à la non utilisation de pesticides sur l’exploitation. Les produits phytos sont classés selon 3 catégories par l’asbl CORDER : interdits, autorisés et constitué de molécules à substituer.
- Éco-régime « Prairies permanentes »
Cet éco-régime a pour objectif de préserver les prairies permanentes en diminuant la charge en UGB (Unité Gros Bétail) de ces parcelles. Cette mesure favorise une gestion extensive des prairies, ce qui engendre de meilleures conditions pour la pousse de la ressource mellifère de l’environnement.
Il existe d’autres éco-régimes mais qui ne sont pas mentionnés dans cet article, ne présentant pas d’avantage pour les pollinisateurs.
Les interventions sectorielles font également partie du premier pilier de la PAC, tout comme les mesures des paiements directs. La Wallonie peut consacrer 3% de son budget national d’aides directes pour des interventions sectorielles dans une ou plusieurs filières agricoles. Cette aide est octroyée directement aux Organisations de Producteurs. Pour le secteur apicole, une intervention spécifique pour la sauvegarde de l’abeille noire et le renforcement de l’assistance technique, de la lutte contre les prédateurs et de la résilience envers le changement climatique est créée.
Éléments du second pilier présentant des aspects positifs pour les pollinisateurs
- Mesures Agro Environnementales et Climatiques (MAEC)
La nouvelle PAC a pour ambition de soutenir davantage les agriculteur·trices mettant en place des MAEC en les rendant plus attractives financièrement, plus accessibles mais aussi plus efficientes écologiquement. Cette aide permet d’encourager les agriculteur·trices qui s’engagent dans le développement de pratiques plus performantes sur le plan environnemental. En ce qui concerne les MAEC favorables aux pollinisateurs, on note les prairies naturelles, les prairies à haute valeur biologique, les tournières enherbées, les parcelles aménagées et le plan d’action agro-environnemental. Ces MAEC sont détaillées dans l’encadré ci dessous.
- Les prairies naturelles : Ces prairies sont exploitées de manière extensive et représentent ainsi une ressource mellifère.
- Les prairies à haute valeur biologique : Ces prairies sont à l’avantage des pollinisateurs.
- Les tournières enherbées : Les tournières (bordures de champs) sont transformées en bandes de graminées et de légumineuses. Elles sont fauchées tardivement et représente une certaine ressource mellifère.
- Les parcelles aménagées : Les parcelles sont aménagées pour répondre aux besoins de la faune sur les terres arables.
- Le plan d’action agro-environnemental : Un plan d’action (court, moyen et long terme) répondant aux enjeux du territoire est défini après discussion entre l’agriculteur·trice et un conseiller·ère. Ce plan renforce les MAEC, les éco-régimes et l’aide à l’agriculture biologique.
- Soutien à l’agriculture biologique
Cette mesure s’inscrit dans la continuité du « Plan Bio 2030 » et à pour but d’encourager l’agriculture bio en Wallonie. Elle est bien sûr bénéfique à l’entomofaune pollinisatrice.
- Indemnité pour les sites NATURA 2000
Les agriculteur·trices qui ont des parcelles sur les sites Natura 2000 font parfois face à des contraintes de gestions qui leurs sont imposées. Cette indemnité vise à compenser ces contraintes. Les zones Natura 2000 sont bien sûr bénéfique pour l’entomofaune pollinisatrice.
Le principe de conditionnalité
Selon le principe de conditionnalité, tout agriculteur ou agricultrice qui souhaite percevoir les aides de la PAC (premier ou second pilier) est tenu de respecter les « Bonnes Conditions Agricoles et Environnementales » (BCAE) sur l’ensemble de son exploitation. Certaines de ces conditions sont particulièrement intéressantes car elles permettent un environnement favorable aux pollinisateurs et à la biodiversité. Ces dernières sont détaillées dans l’encadré ci dessous.
- BCAE 1 : Maintien des prairies permanentes
- BCAE 2 : Protection des zones humides et des tourbières. Malgré que l’objectif de cette BCAE soit de protéger les zones riches en carbone, on peut quand même noter un aspect positif pour les pollinisateurs si l’on considère que ces zones humides et tourbières protégées représentent une ressource mellifère.
- BCAE 4 : Établissement de bandes le long des cours d’eau
- BCAE 6 : Couverture minimale du sol pur ne pas avoir de terre pendant les périodes les plus sensibles. Cette condition peut être à l’avantage comme aux désavantage des pollinisateurs car elle induit une plantation de CIPANS pendant les périodes hivernales d’intercultures. Si ces dernières fleurissent en fin de saison apicole, elle peuvent être bénéfiques pour les abeilles mellifères qui réalisent quelques réserves supplémentaires avant l’hiver. Cependant, elles peuvent aussi déstabiliser l’hivernage des colonies lors de floraisons tardives et de conditions météorologiques trop clémentes. Pour éviter de perturber l’hivernage, il faudrait que les CIPANs soit détruites avant leur floraison. Cependant, cette même BCAE interdit la destruction des CIPANs avant le 15 février. Il faudrait alors dans l’idéal que le secteur agricole opte pour des CIPANs ne venant pas en floraison avant la destruction. Il est à noter que ces CIPANs peuvent également faire remonter des résidus de produits phytosanitaires.
- BCAE 7 : Rotation des cultures sur les terres arables sur 35% de la surface de l’exploitation. Cette BCAE vise à préserver la fertilité des sols mais peut aussi être bénéfique pour les pollinisateurs. Il y a en effet la possibilité d’utiliser les culture intermédiaires pour satisfaire à cette condition, certaines de ces cultures étant mellifères. Cependant, elles peuvent être au désavantage des pollinisateurs si elles fleurissent à une période inopportune de l’année (voir point précédent).
- BCAE 8 : Pourcentage minimal de l’exploitation en zones et éléments non productifs. Un minimum de 3-4 % de la surface arable doit être laissée à des éléments non productifs (haies, jachères,…). Cette mesure est bien sûr à l’avantage des pollinisateurs et les éléments non productifs peuvent être considérés dans les MAEC.
- BCAE 9 : Interdiction de labourer des prairies permanentes, zones natura 2000,…
Étant donné la guerre en Ukraine et ses conséquences sur la sécurité alimentaire mondiale, il est tout de même à noter que des dérogations sont possibles pour les BCAE 7 et 8 pour 2023. Pour la BCAE 7, les agriculteur·trices ne sont pas concernés par l’obligation de rotation sur 35% de la surface de l’exploitation. Pour la BCAE 8, la fauche, le pâturage, ainsi que la mise en culture (sauf en maïs, soja et taillis à courte rotation) des jachères seront autorisés pour la campagne 2023.
Pour plus d’informations sur les nouveautés de la PAC, n’hésitez pas à consulter le document pdf « les nouvelles de l’agriculture » reprenant l’ensemble des informations et en pièce jointe de cet article.