Introduction
Ce vendredi 24 Novembre, CELAGRI organisait une conférence abordant la thématique du changement climatique et intitulée « Comment l’agriculture fait partie des solutions face au changement climatique ». Dans un premier temps, le contexte général du changement climatique et les impacts climatiques en Belgique ont été abordés par François Duchêne, chercheur scientifique en modélisation du climat régional à l’institut royal Météorologique (IRM). Ensuite, Rémy Blanchard, coordinateur du CePiCOP (Centre pilote en céréales, oléagineux et protéagineux) est intervenu pour présenter les cultures innovantes en Wallonie et leur intérêt dans le contexte du changement climatique. Enfin, Brieuc Hardy et Frédéric Vanwindelens du CRA-W ont présentés le sol comme une mesure d’atténuation possible du stockage du carbone.
Comme évoqué dans cette conférence, aucun secteur agricole n’est épargné par l’impact du changement climatique. L’apiculture ne faisant pas exception et sachant que cette dernière dépend fortement du secteur agricole (celui-ci couvrant une partie non négligeable du territoire wallon), cette conférence était l’occasion pour le CARI de prendre la température des conditions climatiques futures (sans jeu de mots) mais également de prendre connaissance des modifications agricoles attendues quant aux cultures mises en place, certaines étant mieux adaptées aux conditions climatiques prévues pour les années à venir. La dernière partie de cette conférence bien que très intéressante ne sera pas relatée dans cet article, les liens avec le secteur apicole étant moins évidents.
L’évolution du climat
Comme expliqué par François Duchêne, climatologue à l’IRM, le climat a toujours varié. Au temps des dinosaures par exemple, le température moyenne du globe était 12°C plus chaude que ce que nous connaissons actuellement. La grosse différence en ce qui concerne les variations du climat avec ce que nous sommes en train de vivre, c’est la vitesse de variation de ces températures. Selon les modèles de prédiction, on estime que l’on va devoir faire face à une augmentation de +12°C dans les 350 prochaines années, cette augmentation de température étant directement liée aux émissions anthropiques de gaz à effet de serre.
Pour apprécier au mieux les modifications environnementales qu’engendre une augmentation ou une diminution de température, Mr Duchène rappelle qu’avec 5°C en moins pour les températures moyennes, on retombe dans des conditions similaires à celles vécues lors du petit âge glaciaire (période climatique froide localisée en Europe entre le début du 14ème siècle et la fin du 19ème siècle). Il nous laisse donc imaginer ce à quoi nous devons nous attendre pour les années à venir si l’on considère une augmentation de 12°C dans les 350 prochaines années… Selon une enquête scientifique publiée dans « Nature », 75% des auteurs de papiers scientifiques relatifs au réchauffement climatique pensent qu’ils verront de leur vivant les conséquences de ce changement climatique.
A l’échelle de la Belgique, on peut déjà quantifier une augmentation de 3°C depuis 1840 alors que l’on quantifie une augmentation de 1,1°C sur le globe, cette différence d’augmentation de température étant due aux océans. Si nous ne parvenons pas à maintenir cette augmentation des températures en dessous des 1,5°C, nous connaîtrons des évènements de plus en plus extrêmes. Une année exceptionnelle du temps de nos grands-parents (par exemple en terme de sécheresse) pourra s’avérer être la norme si nous atteignons une augmentation de +4°C dans les années à venir. Il n’est par exemple pas exclu que l’on connaisse des vagues de chaleur qui durent tout l’été! D’un point de vue hydrique, le bilan sera en déficit en Europe et il faudra alors trouver des systèmes pour pouvoir stocker l’eau et la restituer lors des périodes de sécheresse.
Afin de limiter l’élévation de la température globale à 1,5°C (objectif des accords de Paris) et limiter les conséquences catastrophiques du changement climatique, il faudrait atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 et capter une quantité non négligeable de tonnes de CO2 d’ici 2100.
Les futures cultures intéressantes pour le secteur apicole
Le secteur agricole conscient des changements qui s’opèrent, s’interroge sur les cultures dites innovantes, capables de se développer dans les conditions prédites par les prévisions climatiques. Certaines de ces cultures sont mellifères et permettraient donc dans le cas de leur développement sur notre territoire, d’augmenter la ressource florale pour les abeilles et de manière plus générale, pour l’entomofaune pollinisatrice. On parle par exemple du sarrasin, des haricots, du tournesol, de la moutarde, de la féverole ou encore du pois.
Parmi ces cultures, les cultures protéagineuses sont davantage avantagées dans la mesure ou les politiques européennes poussent vers une production protéique locale. L’objectif de cette production locale étant de ne pas devoir faire venir ces protéines de l’étranger.
Remy Blanchard insiste bien sur le fait qu’il ne faut pas penser que c’est parce que l’on ne voit pas certaines cultures aujourd’hui chez nous qu’il est impossible qu’elles soient cultivées dans les prochaines années, surtout dans un contexte de changement climatique.
Les conséquences du changement climatique sur les colonies d’abeilles
Comme évoqué dans ce début d’article, le secteur apicole n’est pas épargné par le changement climatique qui le touche à deux reprises : à la fois par ses conséquences directes sur l’abeille et sur la gestion apicole mais également par ses conséquences indirectes sur l’environnement dont dépendent les abeilles.
Les conséquences directes du changement climatique sur l’abeille mellifère et sur la gestion apicole
Les fortes chaleurs telles que celles que nous serons amené à vivre dans les prochaines années sont préjudiciables pour les colonies d’abeilles.
Dans un premier temps, l’eau tellement essentielle pour les abeilles ne sera plus autant disponible. On peut s’imaginer qu’il y aura de plus en plus d’arrêts de ponte dû au manque d’eau, conséquence directe des fortes chaleurs.
Dans un second temps, il est aussi tout à fait possible que de telles chaleurs réduisent la fertilité de la colonie et la rende même stérile, les températures trop élevées détruisant les spermatozoïdes contenus dans la spermathèque de la reine. C’est effectivement ce qu’ont pu observer certains apiculteurs du Sud de la France cette année. Après de fortes chaleur, la reine ne pondait plus qu’un couvain de mâle (mais organisé tel un couvain d’ouvrière) sur l’ensemble des cadres du nid à couvain habituel !
Enfin, le travail de l’apiculteur pourra s’avérer beaucoup plus contraignant s’il est amené à devoir travailler sous de lourdes chaleurs telles que celles prédites par les scientifiques.
Les conséquences indirectes du changement climatique sur l’environnement dont dépendent les abeilles
Les conditions climatiques tel que les sécheresses et les fortes températures impacteront également les végétaux dont les végétaux mellifères. Ces impacts sont multiples et peuvent être par exemple un décalage phénologique (que l’on peut déjà observer pour certaines plantes mellifères), une modifications des sécrétions pollinifères et nectarifères ou encore une mise à mal de la survie du végétal en absence ou insuffisance d’eau. En connaissance des prévisions hydriques annoncées pour les années à venir, on peut effectivement facilement s’imaginer que les réserves en eau lors des périodes de sécheresse seront préférentiellement misse à disposition des cultures agricoles et non utilisées pour assurer la survie des végétaux non cultivés. Hors, les abeilles y sont étroitement liés…
En ce qui concerne les modifications des sécrétions nectarifères et pollinifères des végétaux, on peut tout d’abord facilement s’imaginer qu’il n’y aura plus ou presque plus de sécrétion nectarifère en période de sécheresse ou de forte chaleur. Ensuite, les conditions trop clémentes de fin de saison permettent des sécrétions de nectar inhabituelles en cette fin de saison. Hors, ces sécrétions de nectar trop tardives stimulent la colonie à l’élevage alors que les abeilles d’hiver devraient se préserver pour relancer l’élevage au printemps prochain. Cela peut mettre à mal la colonie d’abeilles.
Les adaptions du secteur apicole face au changement climatique
Les adaptations du secteur apicole face au changement climatique peuvent se diviser en 2 types d’actions.
D’une part, il faut d’abord viser à réduire nos émissions de gaz à effet de serre afin d’éviter les scénarios les plus catastrophiques de réchauffement climatique. En effet, tous les secteurs sont (à leur échelle) responsable du réchauffement climatique par les émissions de gaz à effet de serre qu’ils produisent. A partit du moment ou un secteur utilise des énergies fossiles, il utilise en réalité du carbone du sous-sol qu’il émet dans l’atmosphère. Le secteur apicole ne fait donc pas exception. Dans cette optique, il est tout à fait pertinent que chacun puisse s’interroger et réfléchir à ses émissions de CO2, par exemple en diminuant les transports, les transhumances, en travaillant plus local,… Le problème selon François Duchêne, c’est que nous sommes tous « accros » aux énergies fossiles.
D’autre part, il est certain que nous devons nous adapter aux conditions futures d’un point de vue technique. Le premier réflexe dans un contexte bouleversé par le changement climatique est de rester observateur pour déceler les changements qui en découlent. Il faut avoir conscience des décalages de floraisons, être à l’affut de potentielles migrations ou disparition d’espèces végétales ou encore d’espèces invasives… Constater ces dérèglements permet à l’apiculteur d’y palier en apportant à ses abeilles ce dont elles viendraient à manquer (eau, pollen, nectar, protection contre les espèces invasives,…). Ensuite, il faudra également adapter ses pratiques pour ne pas que les abeilles soient trop impactées par les fortes chaleurs. Il n’est par exemple plus recommandé d’installer ses ruches dans des zones ensoleillées ou sur des toits mais davantage dans des zones ombragées. De même, peindre les toits de ses ruches en blanc permettrait de diminuer de 4°C selon certaines études la température du toit. Il faudra également veiller à isoler en conséquences ses ruches, aussi bien pour l’été que pour l’hiver.