Les problèmes de loque européenne commencent à faire grand bruit, y compris dans la presse en Belgique et outre-Quiévrain. On lit ce type de message alarmant qui stigmatise sans complexe les apiculteurs belges (Source: Metrotime https://www.metrotime.be/fr/en-vrai/quelle-est-cette-bacterie-hautement-contagieuse-qui-sevit-en-wallonie):
Pourquoi ce vent de panique? Est-il justifié?
La situation sanitaire selon l’AFSCA
Lorsqu’on regarde la carte de la situation sanitaire publiée par l’AFSCA en la matière, il est vrai que les poches de protection se multiplient.
Selon le Dr Xavier Patigny, vétérinaire-expert à l’AFSCA, l’agence applique stricto sensu ce qui est prévu par la législation (AR du 07 mars 2007 relatif à la lutte contre les maladies des abeilles et AR du 16 janvier 2006 fixant les modalités des agréments, des autorisations et des enregistrements préalables délivrés par l’AFSCA). Que fait donc l’AFSCA?
- Les colonies atteintes de loque européenne sont détruites. Si plus de 50% des colonies sont touchées, toutes les ruches du rucher sont détruites. Seuls les apiculteurs enregistrés à l’AFSCA sont indemnisés pour chaque colonie détruite (125 € par ruche).
- L’apiculteur a l’obligation de nettoyer et désinfecter soigneusement les ruches, les cadres et le matériel susceptible d’être contaminé. Les ruches en pailles et les rayons sont brûlés.
- Une enquête pour déterminer l’origine du foyer est menée par l’AFSCA.
- Une zone de protection de 3 km est délimitée autour du foyer. Tous les ruchers présents dans cette zone sont visités pour dépister une éventuelle dispersion de l’infection. Si de nouveaux foyers sont identifiés (soit par examen clinique, soit suite à des analyses), les colonies atteintes de ces ruchers sont détruites. Aucun mouvement de matériel ou de colonie n’est autorisé vers l’extérieur de la zone de protection jusqu’à ce que tous les ruchers présents dans la zone aient été visités et que toutes les colonies atteintes aient été détruites.
- Le miel des colonies atteintes ne peut pas être redistribué aux abeilles. La cire des colonies atteintes peut être redistribuée aux abeilles si la cire a été liquéfiée préalablement à plus de 60 °C.
Plus l’enquête pour déterminer l’origine du foyer est longue, plus il y a de ruchers dans la zone, plus longue est la durée du blocage de la zone de protection.
Sortir la loque européenne des maladies à déclaration obligatoire?
La Loi européenne sur la Santé animale est entrée en vigueur le 21 avril 2021 dans les pays de l’Union. Selon elle, la loque européenne n’est plus une maladie à déclaration obligatoire. Elle est considérée comme une maladie courante du couvain des abeilles. Mais la loque européenne peut néanmoins être reconnue comme une maladie à déclaration obligatoire dans les programmes nationaux. C’est le cas en Belgique, entrainant l’application de la loi telle que décrite ci-dessus. Si la loque européenne devait sortir des maladies à déclaration obligatoire en Belgique, cela n’enlèverait pas la question de la responsabilité individuelle de l’apiculteur, bien au contraire.
Il est clair que l’éradication totale de l’agent pathogène responsable de la maladie est une pure illusion. Il est clair aussi que nous sommes en présence d’une maladie très contagieuse qu’il est nécessaire de circonscrire. Là commence la responsabilité de l’apiculteur qui peut, par simple négligence ou ignorance, impacter les ruchers voisins. Des mesures d’hygiène prophylactiques sont nécessaires au rucher et les apiculteurs doivent en être bien conscients. La bactérie Melissococcus plutonius peut être transmise par le commerce de reines et d’abeilles, par l’échange de cadres contaminés, par des abeilles pilleuses infectées, par des ustensiles contaminés et même par l’apiculteur lui-même. Avant de regrouper les colonies de plusieurs éleveurs, certains programmes d’élevage exigent prudemment un certificat officiel attestant que les colonies sont exemptes de loque. C’est le cas pour les inséminations de l’asbl Buckfast Wallonia par exemple.
Quelques points d’attention particuliers
Les apiculteurs qui prétendent encore publiquement qu’il faut laisser faire les abeilles qui trouveront le chemin de la résistance naturellement n’ont pas conscience de l’impact des pratiques apicoles sur le développement de la loque européenne. La qualité de l’environnement et la qualité de l’apiculture jouent un rôle non négligeable. Quelques point d’attention sont à souligner:
- L’équilibre couvain/abeilles est important. S’il y a trop de couvain pour le nombre de nourrices, il y a danger. Ce déséquilibre peut être dû aux températures extérieures ou à une intoxication par exemple.
- La qualité de la nourriture donnée aux larves peut baisser en cas de forte infestation à Varroa.
- Les ressources en pollen doivent être suffisantes, en bonne quantité, variées et de bonne qualité.
- Les cadres doivent être correctement renouvelés.
- Le matériel doit être régulièrement désinfecté.
- Les essaims créés artificiellement doivent avoir suffisamment d’abeilles adultes pour prendre soin du couvain.
- Les colonies doivent être maintenues fortes.
- Il faut éviter trop de concentration de ruches dans un même périmètre.
- Une sélection sur le comportement hygiénique des colonies et sur leur capacité à stocker du pollen peut avoir son importance.
Mettre en place des règles d’hygiène de base permet de limiter l’expansion de la maladie.
La destruction systématique est-elle la solution?
Selon Martin Dermine, vétérinaire et apiculteur, « détruire l’ensemble du cheptel d’un apiculteur parce qu’il a quelques cas de loque européenne, c’est complètement dépassé et ça va à l’encontre de la biologie. Si dans mon rucher, j’ai 3 colonies malades et 7 colonies saines, cela veut dire que ces 7 colonies sont résistantes et saines. Il faudrait donc les garder parce qu’elles ont une bonne génétique et se débarrasser des colonies malades. » (Source: RTBF – https://www.rtbf.be/article/la-loque-europeenne-la-nouvelle-poisse-pour-les-abeilles-et-les-apiculteurs-en-belgique-11261945).
C’est bien ce qui se pratique dans les faits. Selon Xavier Patigny, « l’AFSCA ne détruit toutes les colonies que si plus de 50% des colonies sont infestées. Cela signifie que toutes les ruches du rucher sont examinées et qu’un échantillon de couvain est prélevé sur au moins l’une d’entre elles (les T° extérieures doivent permettre l’ouverture des ruches). Si un échantillon revient positif pour la loque européenne, toutes les ruches présentant des symptômes de loque européenne sont détruites. Si cela correspond à plus de 50% des ruches du rucher, toutes les ruches du rucher sont détruites. S’il y a moins de 50% de colonies infestées, seules les ruches présentant des symptômes de loque européenne sont détruites. »
Il n’existe pas de traitement vétérinaire médicamenteux pour traiter la loque européenne. L’usage des antibiotiques est interdit. En France, où la maladie est gérée en fonction du contexte, le transvasement est parfois préconisé si la colonie reste forte et s’il est encore temps pour elle de reconstituer son couvain et de se préparer à temps pour l’hivernage. Tout dépend donc de la force de la colonie et du moment de l’année où se déclare la maladie. Transvaser la colonie signifie transférer la colonie dans un corps de ruche sain avec des cires gaufrées. Cela s’accompagnera souvent d’un nourrissement pour aider la colonie à repartir. Les cadres de l’ancienne ruche seront brûlés. L’ancienne ruche sera désinfectée soigneusement, incluant plancher, couvre-cadre et tous les accessoires. Plus vite la maladie est repérée, plus facilement cette solution est possible. Cela signifie qu’un suivi régulier et fin des colonies est nécessaire. Si la maladie est diagnostiquée à un stade très précoce, il est possible de détruire seulement les cadres de couvain en laissant les réserves à la colonie. La destruction de la colonie est un recours si la colonie est trop faible pour subir le transvasement sanitaire et si la maladie se déclare trop peu de temps avant la mise en hivernage de la colonie. L’impact de la loque européenne varie fortement selon la gravité de l’infection, la densité des ruches dans le voisinage, la saison, etc.
En guise de conclusion
Que la loque européenne soit ou ne soit plus reprise dans la liste des maladies à déclaration obligatoire en Belgique, l’important est que les apiculteurs aient bien conscience de leurs responsabilités dans ce contexte. Une bonne partie du problème provient de mauvaises pratiques apicoles et/ou d’une inconscience de l’importance de certains suivis. Sortir la loque européenne des maladies à déclaration obligatoire (et modifier l’arrêté royal) permettrait sans doute d’envisager des solutions plus subtiles que celles des destructions systématiques pratiquées par l’AFSCA. Resterait à organiser le suivi des ruchers et la prise en charge financière de ce suivi. Aujourd’hui, c’est l’Etat qui prend en charge l’indemnisation des apiculteurs inscrits à l’AFSCA dont on détruit les colonies. Quid s’il y avait une modification de la loi?
Dans la mesure où ces négligences ont un impact sur les ruchers voisins, il faut insister sur les actions de prophylaxie nécessaires et sur la formation des apiculteurs qui doivent être armés pour affronter cette maladie du couvain.
A lire: « Loque européenne » – Dorothée Ordonneau et Jean-Marie Barbançon – La Santé de l’Abeille n°253
Fiche Loque européenne – FNOSAD
Fiche Loque européenne – ANSES
Information AFSCA – Loque européenne