Chacune des journées du congrès scientifique était inaugurée par une conférence d’une heure donnée par un spécialiste de renommée internationale. La première, intitulée « A la recherche des origines génétiques de la socialité », était donnée par le Dr. Gene E. Robinson, entomologiste américain et directeur du Carl R. Woese Institute for Genomic Biology aux USA.
Le chercheur, avec un art du storytelling propre aux conférenciers américains, a rappelé que les abeilles constituent un modèle pour comprendre les mécanismes du comportement social. On sait que des blocs de construction génétiques permettent au cerveau différents types de capacités sociales. Deux récents constats à cet égard: l’activité des gènes dans le cerveau influence fortement certains comportement sociaux et les réseaux de régulation des gènes dans le cerveau sont étonnamment malléables. Quand une abeille est exposée à un défi social, il y a un changement métabolique dans son cerveau. Les racines moléculaires de l’altruisme résident dans un comportement égoïste: quand un insecte solitaire trouve de la bonne nourriture, il mange plus mais quand une abeille mellifère trouve de la bonne nourriture, elle danse plus. Les chercheurs ont également constaté que des abeilles mellifères infectées par un virus interagissent moins avec le groupe: elles cherchent à éviter de transmettre l’infection à la colonie. Les recherches génétiques sur le cerveau social semblent très prometteuses.
Rufus Isaacs, Directeur du Berry Crops Entomology laboratory du département d’entomologie de la Michigan State University et du Integrated Crop Pollination project, a évoqué quant à lui les enjeux que constitue la pollinisation pour le monde agricole. Il a présenté les travaux de son équipe à ce sujet qui incluent aussi bien abeilles mellifères que pollinisateurs sauvages. Pour lui, le futur de la pollinisation intégrée des cultures passe par plusieurs nouveautés comme des outils de prise de décision intégrant la gestion des insectes et des maladies, un accès à l’information pour les producteurs et les apiculteurs, une adaptation à l’évolution des communautés d’abeilles et aux changements de l’agriculture et enfin plus de techniques agronomiques pour accueillir les pollinisateurs dans les champs. Les espèces pollinisatrices et les espèces végétales qu’elles pollinisent sont étudiées pour améliorer la protection des premières et le rendement des secondes. Cela passe par un aménagement des habitats et des ressources au sein des exploitations agricoles.
Le projet inclut également une dimension sociale puisqu’il fait entrer en jeu les habitudes des producteurs vis à vis de la pollinisation.
Peter Rozenkranz, Directeur de l’Apicultural State Institute de l’Université de Hohenheim, s’est exprimé à propos de la santé des abeilles, sujet très émotionnel dont se sont emparé les médias et sujet sensible pour l’opinion publique. D’emblée, il a précisé que, de son point de vue, la question de la santé des abeilles n’est pas à corréler avec la survie des colonies et qu’il n’y a aucun consensus à propos de la santé des colonies. Il est par ailleurs difficile d’avoir des résultats répétables du fait du contexte (grosses différences de gestion apicole par exemple). Pour lui il est difficile d’évaluer tous les risques synergiques et il est difficile d’appliquer les résultats obtenus dans les laboratoires dans des conditions réelles (dans les ruches). Le chercheur juge qu’il n’y a pas besoin de plus de recherches scientifiques pour savoir que les néonicotinoïdes sont dangereux pour les abeilles. Et de citer les principales menaces qui affectent directement ou indirectement la santé des colonies:
- les ravageurs et les maladies;
- la mondialisation qui favorise la dispersion des pathogènes;
- l’utilisation non raisonnée des pesticides ;
- une mauvaise gestion apicole (incluant l’usage de produits vétérinaires);
- l’utilisation des terres, la fragmentation du territoire et les monocultures.
Peter Rozenkranz évoque ensuite la controverse sur les effets sublétaux, chroniques et synergiques des pesticides et fait une série de remarques sur les pesticides et la santé des colonies. Ces remarques lui appartiennent, d’où les guillemets:
- « les effets des résidus de pesticides sur les colonies d’abeilles semblent être surestimés »;
- « nous ne pourrons jamais démêler toutes les multiples interactions des différents pesticides »;
- « le problème principal est l’intensification agricole croissante »;
- « la recherche future devrait davantage se concentrer sur la protection des pollinisateurs et sur l’amélioration de la biodiversité dans les zones rurales »;
- « les produits de la ruche pourraient être utilisés comme des bio-indicateurs des zones rurales contaminées par les pesticides. »
A noter que ce dernier point semble assez incompatible avec la valorisation commerciale des produits de la ruche.
Thomas D. Seeley de la Cornell University (USA) a fait une présentation générale sur ce qui est aujourd’hui appelé « l’apiculture darwinienne » c’est-à-dire une apiculture qui tente de se rapprocher du mieux possible des conditions nécessaires à la vie des abeilles. Le chercheur est un spécialiste des abeilles mellifères qui vivent à l’état sauvage et son objectif est de permettre aux apiculteurs d’être des moteurs de l’adaptation des abeilles et plus des freins. Cela demande un changement de paradigme qui passe par le fait de ne plus considérer la colonie d’abeilles comme une usine à miel. Thomas Seeley a bien précisé que cette apiculture apicentrée n’était pas destinée à tous les apiculteurs. Elle n’est pas adaptée aux apiculteurs à large échelle ni aux apiculteurs urbains. Mais elle est « une option pour les apiculteurs ruraux à petite échelle qui veulent éviter les traitements chimiques et qui sont satisfaits avec des récoltes de miel modestes (15kg/colonie) ». Pour lui, l’apiculture darwinienne est à l’apiculture commerciale ce que l’observation des oiseaux est à l’aviculture, le pommier du jardin au verger de production et le plaisir au profit. L’environnement dans lequel les colonies évoluent est la clef en la matière. Pour s’engager dans une apiculture darwinienne, il faut autant que possible que les colonies puissent retrouver un « environnement d’adaptation évolutive » (où l’homme n’a que peu d’impact). Si on en a la possibilité, laisser vivre les colonies naturellement est un gage d’adaptation de l’espèce. Elles produiront moins de miel mais seront en meilleure santé.
Ces quatre conférences inaugurales ont proposé quatre des grandes directions prises par la science apicole aujourd’hui: la génomique, l’agronomie et la pollinisation, la protection des habitats des pollinisateurs en milieu rural et la recherche d’une meilleure connaissance de la biologie de l’abeille à prendre en considération dans les pratiques apicoles. Ces grandes directions laissent envisager pour le futur des progrès dans la connaissance de l’abeille et une meilleure prise en considération des pollinisateurs en améliorant les pratiques agricoles et agronomiques. Une remise en question de l’utilisation des pesticides n’est toutefois pas encore vraiment perceptible et certains apiculteurs commerciaux admettent même très facilement leur utilisation comme nous le verrons en évoquant l’apiculture au Canada. A suivre!