Pour commencer ce panorama de l’apiculture canadienne, un petit film promotionnel sur l’apiculture québécoise donne quelques mots clés qui marquent certaines grosses différences avec l’apiculture en Europe.
« Industrie apicole », « hivernage », « services de pollinisation » sont des mots clefs importants. On peut aussi ajouter certaines particularité comme la recherche en nutrition pour palier aux manques des colonies exploitées pour la pollinisation intensive, la question environnementale qui est déléguée aux apiculteurs urbains, les problèmes d’adaptation des reines et les programmes de recherche génétique pour obtenir les critères nécessaires (rusticité, productivité, etc.) avec, en parallèle, les importations massives de reines en provenance du Chili, de Californie, d’Hawaii et de Nouvelle-Zélande pour simplement remplacer les reines mortes après la saison…. Voici autant de problématiques qui caractérisent le modèle économique de l’apiculture canadienne. Un modèle clairement accès sur la rentabilité économique.
Apimondia à Montréal a été l’occasion d’assister à la présentation de plusieurs exploitations apicoles. Cela a permis de mesurer la dimension des apiculteurs canadiens qui, à ce niveau, sont moins des apiculteurs que des chefs d’entreprise apicole. Plusieurs d’entre eux ont eu l’occasion de présenter leur travail, leur entreprise, leur réussite et leurs difficultés. Toujours avec beaucoup de fierté: il s’agit souvent de self-made-men (ou women) et de succès familial.
Si l’on prend le seul exemple de Ash Apiaries, c’est une véritable success story à l’échelle familiale. Un Dallas apicole. Les parents, Floyd et Peggy Ash, ont été rejoints par leurs trois fils (Brent, Grant et Bryan) et leurs belles-filles pour développer leur ferme apicole dans le Manitoba, à 4 heures au Nord de Winnipeg. Ils disposent de 10.000 colonies et produisent entre 1.000 et 1.500 tonnes de miel par an. Ils ont une bonne trentaine d’employés et considèrent l’apiculture sous l’angle de la gestion des risques, saison après saison. Parmi ces risques se trouvent celui bien connu de la varroase mais aussi des traitements, de l’hivernage, des pertes de reines et des pesticides. Pour les traitements, le choix se porte sur les lanières d’Apivar. On connaît la nocivité des traitements mais ils sont vécus comme un mal nécessaire.
Pour l’hivernage, 1/3 des colonies est hiverné en extérieur, 1/3 en intérieur et le dernier tiers est transhumé en Colombie Britannique.
Concernant les pertes de reines, elles sont vécues comme un état de fait et des lots de reines sont commandés chaque année pour le remérage, en dépit des risques encourus lors du transport par avion.
Enfin, l’exposition aux pesticides est également vécue comme une fatalité puisque l’apiculteur a déclaré tout simplement que les agriculteurs n’étaient pas en mesure de se passer de solutions chimiques. Les ruches sont donc localisées dans un système en réseau qui leur permet d’être avertis lors d’épandages chimiques dans les champs. A eux de protéger leurs colonies. Il n’y a aucune remise en question d’un modèle agricole intensif de la part de l’apiculteur qui est lui même un maillon de ce même modèle.
La question de la pollinisation est également cruciale dans le modèle apicole économique canadien. Si l’on ne prend que l’exemple de la province de Québec, la disparition des pollinisateurs sauvages est telle que les abeilles mellifères sont massivement nécessaires pour la pollinisation des différentes productions fruitières. Ce que les canadiens appellent ‘les bleuets », c’est-à-dire les myrtilles, dépendent à 90% des abeilles pour la pollinisation. La pollinisation est jugée essentielle pour les cultures auto-stériles comme les pommiers, les bleuets et les canneberges. Elle est jugée bénéfique pour les cultures auto-fécondes comme les fraises, les framboises et la canola.
Dans un colloque apicole qui s’est tenu en 2016, la valeur de l’apiculture dans la province de Québec a été évaluée à plus de 138.000 dollars … La pollinisation a une valeur plus importante que celle du miel et d’autres produits de la ruche. Elle représente environ 200 millions de dollars par année à l’échelle du Canada. D’autres données économiques sont disponibles sur le site du Gouvernement canadien.
Les services de pollinisation rapportent entre 100$ et 150$ par ruche pour une période de deux semaines. Peu d’apiculteurs professionnels font l’impasse sur ce service agricole. Pourtant, ce n’est pas sans conséquences sur la santé des abeilles. Il est avéré que les abeilles en pollinisation sur les bleuets mais surtout sur les canneberges ont un problème de nutrition. La fleur de canneberge produit très peu de nectar et beaucoup de pollen. Les colonies reçoivent un apport de sirop de sucre pour favoriser la collecte de pollen de canneberge et éviter que les butineuses aillent chercher d’autres sources de pollen loin des plantes cibles. Inutile de préciser qu’elles sortent de ce type de transhumance avec certaines carences nutritionnelles.
L’apiculture canadienne ici présentée est l’apiculture professionnelle, basée sur la rentabilité et intégrée dans des systèmes de production alimentaire à grande échelle. Il y a aussi de petits apiculteurs au Canada et le territoire est émaillé de petites associations locales ouvertes à tous les types d’apiculture, de la plus petite à la plus grande. Cela a été confirmé dans les couloirs du congrès par les apiculteurs eux-mêmes. Naturellement, l’apiculture à petite échelle est moins médiatisée même si elle représente un grand nombre d’apiculteurs.
Bon nombre de questions peuvent être posées face à un modèle intensif tel que celui que nous venons de présenter. Naturellement, la question environnementale arrive en tête, incluant la perte des pollinisateurs sauvages, le modèle agricole intensif peu remis en question, la banalisation des produits phyto, etc. La question sociale peut aussi être posée. La plupart des exploitations apicoles présentées disposent de personnel engagé toute l’année mais l’activité repose massivement sur l’utilisation d’une main d’oeuvre saisonnière en provenance principalement du Mexique. Pour un européen de l’ouest, il y a matière à étonnement et à questionnement.