Vous avez peut-être pris connaissance du sujet sur le frelon asiatique passé sur RTL et récemment médiatisé. On y découvre dans l’ordre:
- un apiculteur du Hainaut dans son rucher pleurant des ruches et ruchettes « nettoyées » par le frelon asiatique;
- Louis Hautier du CRA-W en charge de la formation des désinsectiseurs qui suit le dossier « Frelon asiatique » depuis son arrivée en Belgique en 2016 et conseille un type de piège sélectif;
- Jean-Sébastien Rousseau-Piot, représentant de Natagora, qui minimise l’impact du frelon asiatique sur l’entomofaune et la nature et classe l’affaire en proclamant qu’il s’agit essentiellement du problème (économique) des apiculteurs.
Nous avons jugé nécessaire d’apporter quelques conseils en réaction à ce reportage grand public dans l’espoir que certaines erreurs ne persistent pas.
Que conseiller à l’apiculteur du Hainaut?
Nous pensons avec regret que l’apiculteur du Hainaut a raison sur un point: il risque de perdre toutes ses colonies s’il reste passif. Les risques d’effondrement des colonies d’abeilles liés aux frelons asiatiques peuvent être, dans certains cas, indirectement liés à la prédation des frelons. Quelle était la force de la colonie « nettoyée » par le prédateur? Etait-elle en bonne santé? Le suivi varroa avait-il bien été réalisé? Quelles actions de protection ont été menées? Etc. Il y a de bonnes questions à se poser.
L’impact du frelon sur les ruchers est en outre amplifié par:
- la présence d’un nid (ou plusieurs) à proximité du rucher;
- l’absence de dispositif de protection pour réduire le stress des colonies et permettre aux butineuses de poursuivre la collecte de nectar et de pollen.
Le risque de mortalité des colonies basé sur les frelons pendant la période de prédation est faible mais les effets sur la survie hivernale des colonies est probable en raison des perturbations de la dynamique des colonies. Une colonie qui cesse de butiner et se confine à l’intérieur de la ruche sous l’effet du stress ne peut pas constituer correctement ses réserves et ses abeilles d’hiver.
Il y a des solutions (même si nous sommes loin du monde idéal) pour contribuer à la protection des colonies et mieux vaut mettre toutes les chances de son côté. Nous conseillons à l’apiculteur du Hainaut qui est intervenu dans le reportage de protéger ses colonies. C’est le devoir du berger envers son troupeau. C’est aujourd’hui le devoir de l’apiculteur envers ses abeilles. Les conseils de protection des ruchers ont été largement diffusés. Il suffit de parcourir ce blog, de se référer au travail du Groupe F de Bruxelles ou ce celui de l’AAVO en France. Alors, oui: nous n’avons pas de certitudes mais il est impératif de tester les solutions de protection des ruchers.
Le frelon asiatique est un facteur supplémentaire à prendre en compte dans le déclin des colonies d’abeilles. Cela s’ajoute aux menaces existantes (Varroa destructor, pratiques apicoles, pesticides et manque de ressources de qualité dans l’environnement). De nombreux chercheurs travaillant sur les guêpes sociales envahissantes dans le monde soulignent que localiser et détruire des nids ou piéger des frelons en masse ne peut réduire durablement les populations de ces envahisseurs (Beggs et al. 2011 ; Turchi et Derijard 2018). Il faudra donc, au mieux, vivre avec, sans baisser les bras: un suivi minimum de la destruction des nids problématiques pour la santé humaine, environnementale et apicole ainsi que l’organisation de campagnes de piégeage bien réalisées (coordonnées et intelligemment menées pour être efficaces et non contre-productives) paraissent aujourd’hui un encadrement nécessaire.
Piéger? Pas n’importe comment ni avec n’importe quoi!
Les pièges à sirop artisanaux et les appâts (empoisonnés ou pas) non spécifiques restent une menace pour de nombreuses espèces de l’entomofaune locale (Rome et al. 2011). Nous déconseillons fortement l’usage de recettes artisanales même celles qui intègrent de l’alcool. Ce n’est pas une solution miracle pour éviter les espèces non ciblées. Il ne faut pas que l’on puisse reprocher aux apiculteurs d’être à l’origine de problèmes environnementaux.
Seuls les pièges de type nasse (avec un volume suffisant pour que les espèces non cibles piégées puissent avoir une chance d’en sortir) sont recommandés aujourd’hui, comme le souligne Louis Hautier dans le reportage. Ce sont les pièges les plus sélectifs. Il est également nécessaire de piéger en fonction du cycle de développement du frelon asiatique et donc d’adapter les appâts à l’évolution de ses besoins nutritionnels. Des tests sont effectués par le CRA-W dans le cadre du projet Bee Wallonie pour évaluer l’efficacité des appâts.
Pensez à bien réfléchir avant de piéger dans vos ruchers: en dehors des zones où le frelon asiatique est déjà bien implanté (Hainaut, BW par exemple) ! Vous pourriez simplement lui servir vos ruches sur un plateau en lui donnant l’indication du super garde-manger !
Le piégeage de printemps ne doit pas se faire tous azimuts sans aucun encadrement. S’organiser ne signifie pas distribuer n’importe quel piège à n’importe quel apiculteur sans aucun suivi. Relisez bien la fiche consacrée au piégeage de printemps réalisée par le CARI.
Le piégeage des frelons en automne à l’intérieur du rucher peut être envisagé avec prudence et uniquement dans les zones où le frelon asiatique est bien implanté. Ne piégez pas sans réflexion. Le risque de mortalité des colonies basé sur les frelons pendant la période de prédation reste faible, tandis que les effets de report sur la survie hivernale des colonies sont très probables à cause des perturbations de la dynamique des colonies. L’apiculteur doit donc avant tout protéger les conditions d’un bon hivernage des colonies d’abeilles.
Que conseiller à l’expert de Natagora?
Nous conseillons à l’expert de Natagora qui minimise l’impact de l’espèce invasive d’aller un peu plus loin que ses certitudes.
L’installation du frelon asiatique menace la stabilité des services écosystémiques aussi bien en ce qui concerne la pollinisation des plantes sauvages que celle des cultures (Source: Monceau, K., Bonnard, O., & Thiéry, D. (2014). Vespa velutina: a new invasive predator of honeybees in Europe. Journal of pest science, 87(1), 1-16.)
Les frelons asiatiques ne mangent pas simplement des abeilles mellifères. Si le frelon asiatique est un prédateur généraliste et opportuniste, c’est bien 159 espèces différentes qui ont été identifiées dans son bol alimentaire, avec des variations en fonction de la localisation des nids (Source: Rome, Q., Perrard, A., Muller, F., Fontaine, C., Quilès, A., Zuccon, D., & Villemant, C. (2021, January). Not just honeybees: predatory habits of Vespa velutina (Hymenoptera: Vespidae) in France. In Annales de la Société entomologique de France (NS)(Vol. 57, No. 1, pp. 1-11). Taylor & Francis.)
« En toute chose il faut considérer la fin » disait La Fontaine (Le Renard et le Bouc): mieux vaut bien réfléchir avant d’agir… et de parler!