Un rendez-vous attendu
Pour fêter les 20 ans de son séminaire « Regards Partagés« , l’ADA Occitanie a organisé 2 jours de conférences les 23 et 24 novembre à Mèze (Hérault, France), autour du thème « Cultivons notre réseau » (https://www.adaoccitanie.org/).
Avec près de 200 acteurs de la filière apicole présents sur les 2 jours, cet évènement est l’occasion de faire le point sur la saison écoulée, mais aussi sur les avancées techniques et scientifiques de la filière et de préparer au mieux la saison à venir.
L’objectif de ce séminaire était de montrer « comment un travail en réseau durant toute la saison, rend les exploitations [apicoles] plus performantes et durables, notamment dans un contexte de changement climatique », à travers des conférences, mais aussi des ateliers techniques, jeu de plateau, olympiades et temps de discussion.
La première journée s’intéressait aux projets collaboratifs pour le travail de sélection et de lutte contre les prédateurs (frelon asiatique) et maladies (varroa). La deuxième journée était axée sur le développement de réseaux pour le suivi de la dynamique des miellées. Le CARI a été invité à partager son expérience sur cette thématique à travers la présentation du réseau de balances en régions Wallonne et Bruxelles-Capitale.
© ADA Occitanie
« Il faut être préparé à l’improvisation »
Voici les mots employés par Manuel Izquierdo, biologiste et apiculteur professionnel implanté dans la région de Séville en Andalousie, lors de sa conférence sur les adaptations de pratiques à mettre en place face à l’augmentation des températures.
Terminée l’époque où l’on amenait les ruches sur un site historiquement exceptionnel avec la certitude d’une bonne miellée. Le changement climatique en cours modifie tout: depuis les années 2010, évènements climatiques extrêmes (sécheresse, incendies, inondations…) et instabilité de production deviennent peu à peu la nouvelle normalité.
Isolation des ruches contre la chaleur
Lorsque l’on pense isolation des ruches, on pense en premier lieu à lutter contre le froid hivernal qui peut mettre à mal les colonies. Or avec le changement climatique, les saisons se radoucissent, les hivers sont plus courts et plus doux et le profil de étés plus chaotique avec des vagues de sécheresse auxquelles peuvent succéder de violentes inondations.
Partout en Europe, on recense des zones en forte baisse de production de miel. Les principaux facteurs sont d’ordre :
- climatique:
- vague de sécheresse
- température moyenne estivale trop élevée
- précipitations trop faibles ou trop irrégulières
- sanitaire:
- prédateurs et pathogènes (varroa, frelon…)
- utilisation d’intrants chimiques (fertilisants, pesticides, résidus…)
- environnemental:
- variabilité spatiales et temporelle des ressources
- diversité des ressources florales
Protéger ses colonies face aux chaleurs estivales est un nouveau défi que les apiculteurs d’Europe occidentale tempérée doivent apprendre à relever. Pour cela, regarder ce qui se passe plus au sud, en France ou encore en Espagne, est source d’inspiration d’innovation technique.
En Andalousie, afin de limiter l’impact des fortes chaleurs sur les colonies, plusieurs adaptations ont été testées concernant le toit des ruches et l’évacuation de la chaleur. Celle-ci doit suivre les lois de la thermodynamique et se faire par le haut, car l’air chaud étant plus léger, monte. Ainsi toute ventilation devant se faire par le bas de la ruche force les ouvrières à un excès de travail pour un résultat quasiment nul.
Ainsi, pour limiter l’augmentation excessive des températures dans la ruche et favoriser la ventilation, plusieurs adaptations simples sont préconisées:
- pas de couvre cadre
- toit avec une chambre d’air et 4 trous de ventilation repartis sur les différentes faces
- dessus du toit en tôle peint avec du blanc d’Espagne (ne demande pas de sous couche préalable)
- réduction du volume avec utilisation de partitions en polystyrène à chaque extrémité de la ruche (1 partition + X cadres + 1 partition)
- réduction du trou de vol (devra également être réduit vers août pour limiter l’attaque de prédateurs de types guêpes, frelons)
- les colonies doivent être fortes avec des reines jeunes
Ces réflexions font échos à celles déjà amorcées par le CARI en 2020, dans notre article sur « L’estivage en Andalousie » publié dans le numéro 197 d’Abeilles & Cie (téléchargement libre au lien suivant: https://www.cari.be/medias/abcie_articles/focue_climat_estivage_197.pdf). D’autres témoignages d’apiculteurs sur l’impact de l’augmentation des températures sur les miellées sont disponibles dans le numéro 197 – « Focus Climat » d’Abeilles & Cie (https://www.cari.be/abco/2020/).
Vers une gestion intégrée du varroa
L’infestation par Varroa est un problème sanitaire majeur, notamment dans les zones de plus en plus chaude, où la période sans couvain ne cesse de se réduire.
Depuis l’arrivée de Varroa destructor dans les années 1980 en Europe, une lutte acharnée contre cet acarien a été mise en place, à coups de diverses molécules et méthodes d’application. Alors que le nombre de varroas phorétiques est en décroissance, sa représentativité dans les taux d’infestation des colonies est malheureusement elle aussi en régression: en Espagne, jusqu’à 80% des varroas présents dans les colonies sont désormais des acariens logés dans les cellules de couvain. Dans ces conditions, une traitement une à deux fois par an sans couvain est indispensable pour une lutte efficace contre cet acarien.
Ainsi, au delà des nombreux problèmes de résistance aux molécules apparus ces dernières années (par ex. ….), certaines méthodes d’application semblent elles aussi devenir inefficaces face aux adaptations de varroa et aux modifications de son comportement. Les traitements par l’emploi de lanières sont-ils toujours pertinents aujourd’hui? Doit-on revoir nos modes d’application, au delà de la prise en compte de des résistances à de plus en plus de molécules? L’encagement des reines, la suppression du couvain doivent-ils devenir systématique pour permettre un traitement efficace contre l’acarien?
Autant de questions auxquelles il est important d’apporter des réponses rapidement, compte tenu des niveaux d’infestation en très forte augmentation dans certaines régions.
Comprendre et prévoir la dynamique des miellées
Lors de la deuxième journée, 4 observatoires et réseaux utilisant des balances connectées ont été présentés avec leurs atouts et leurs limites techniques notamment pour l’analyse des données et leur utilisation en vue du développement d’outils de prédiction des miellées. Parmi eux:
Le réseau de l’ADA Occitanie:
Helène Frey (ADA Occitanie) a présenté le réseau de balances déployé au sein de la région Occitanie. Une soixantaine de balance de type CAPAZ, OPTIBEE et BeeGuard sont proposées en prêt aux apiculteurs membre de l’ADA sous conditions, permettant aux apiculteurs professionnel transhumant, une meilleure visibilité de la dynamique de leur ruchers notamment lorsque ceux-ci sont loin, leur évitant des déplacement coûteux et longs (https://www.adaoccitanie.org/informations-techniques-et-experimentations/informations-techniques/reseau-et-pret-de-balances-connectees/).
Le projet MIELLEES :
L’ITSAP dispose depuis plusieurs années d’un réseau de balances connectées et automatisées dans le cadre du développement du projet MIELLEES, provenant de 5 constructeurs de balances différents et associés: Beeguard, ConnectedBeekeeping (CBK), LabelAbeille, MicroEl et Optibee. L’objectif de ce projet est de « valoriser les données collectées par les balances et créer une plate-forme de stockage et d’analyse pour établir des indicateurs sur la dynamique des colonies et leur performance ». L’ensemble des données est soumis à des droits d’exploitation de données et fait l’objet d’un retour sous forme de bilan en fin de saison auprès de la filière et des apiculteurs membres (https://itsap.asso.fr/pages_thematiques/numerique/projet_miellees/).
Le réseau de balances du CARI:
Orianne Rollin a présenté le réseau de balance du CARI, composé depuis près de 20 ans d’une vingtaine de balances de modèle CAPAZ (pour visualiser les courbes des balances du CARI: https://www.cari.be/balances/), et depuis 2022, de 200 balances Multiscale-4 de chez CBK (https://butine.info/suivi-de-la-miellee-de-printemps-2022-en-wallonie-et-a-bruxelles/?fbclid=IwAR0x4q6dRqmdvG_Vu1R0DtlfdlnTnW-qlBhsCPdao0vfW32-l0lQiojh2YU). Elle a également présenté les premiers résultats exploratoires du travail réalisé en collaboration avec l’École Polytechnique de Mons sur le développement d’un outil prédictif des miellées (vous pouvez revoir ces résultats présentés lors de la Journée de Namur 2022: https://butine.info/journee-de-namur-2022/).
L’Observatoire des Miellées de Lavande:
Mis en place il y a 14 ans (été 2008), l’observatoire des miellées de Lavandes rassemble des données de description de près de 4500 colonies et autant d’évaluations de la dynamique des colonies selon la méthode COLEVAL (mise en place durant ce projet). Afin d’avoir une meilleur représentativité géographique et une pérennité du système, l’observatoire à réorganisé son suivi en 2018 à raison de 5 ruchers suivis dans chaque région (Drôme provençale, Lure-Albion et Valensole) et 5 balances par rucher. Les données récoltées donnent aujourd’hui une bonne description et prédiction du système. Chaque année, un bilan de la miellée et la comparaison aux années précédente est présenté lors des journées des ADA et un bilan personnalisé est envoyé à chaque apiculteurs participant à ce réseau de longue halène. http://w3.avignon.inra.fr/lavandes/biosp/page2022LVD.html
En conclusion…
…un séminaire riche et vivant, avec de nombreux échanges entre acteurs. Développer son réseau est essentiel pour enrichir ses connaissances et innover. Nous attendons avec impatience les prochains « Regards partagés » en 2023 !