Virus, abeilles et prévention au rucher

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Le webinaire “Repérer les symptômes des virus de l’abeille et éviter des pratiques à risques” inaugure le cycle des Jeudis de PrADE organisé par l’UMT PrADE (protection des abeilles dans l’environnement). Après ce premier essai, il y aura probablement d’autres Jeudis à partir d’octobre, hors saison apicole. Cet événement a permis une précieuse synthèse des connaissances scientifiques et des solutions à apporter préventivement dans les ruchers. Voici un compte-rendu pour ceux qui n’ont pas pu y assister. 

Programmes de suivi sanitaire

Projet SURVAPI

Marion Guinemer, technicienne apicole à l’ADA-AURA (Auvergne-Rhône-Alpes) a présenté un retour d’expérience sur des colonies atteintes de la maladie noire dans le cadre du projet SURVAPI destiné à évaluer l’exposition des abeilles aux pesticides en période de floraison des fruitiers. Le suivi des colonies a permis d’observer une intensité progressive des symtômes de la maladie à l’extérieur des ruches: 

  • abeilles trainantes, 
  • abeilles tremblantes et noires,
  • abeilles trainantes, tremblantes et noires,
  • abeilles amassées devant la trappe à pollen.

Une analyse des molécules présentes dans le bol alimentaire des abeilles atteintes a permis de détecter 10 à 13 molécules différentes dès le début de la saison apicole. Dès les premiers symptômes, les charges virales étaient déjà très fortes. 

SURVAPI – copie d’écran – abeilles amassées devant la trappe à pollen

Projet OMAA

Brigitte Barthelet du Service rédional de l’alimentation (SRAL) et Mannaïg de Kersauson, vétérinaire apicole, ont fait le point sur le travail de l’Observatoire des mortalités et des affaiblissements de l’abeille mellifère (OMAA) en Auvergne-Rhône-Alpes mis en place en 2019. La région rejoint la Bretagne et les Pays de la Loire, deux autres régions pilotes, pour recenser les événements de santé observés dans les ruchers. Ce recensement est issu, dans la majorité des situations, des visites des ruchers réalisées par des vétérinaires diplômés en « Apiculture – Pathologie apicole », complété le cas échéant, par des analyses toxicologiques, pathologiques et des enquêtes environnementales réalisées par le SRAL. Le coût de l’ensemble des actions sanitaires est pris en charge par l’Etat français. 

Parmi les stress identifiés par les vétérinaires et le SRAL dans le cadre de mortalités massives aigües, une forte prévalence du CBPV (virus de la paralysie chronique) est révélée (21 cas / 46 en 2020). Plusieurs hypothèses visant à identifier des facteurs favorisants ou déterminants de cette maladie ont été testées sur l’ensemble des cas régionaux. Outre la charge en varroas, largement identifiée comme un facteur déterminant, les hypothèses portaient sur

  • La densité du rucher;
  • La température;
  • Les carences alimentaires;
  • La génétique;
  • L’exposition aux pesticides.

Virus

Anne Dalmon, virologue à l’INRAe d’Avignon, spécialisée en biologie et protection des abeilles, rappelle que “les virus sont des parasites obligatoires” très présents et distribués mondialement. Ils sont constitués de coques protéiques qui protègent quelques dizaines de gènes. Cette information génétique est très condensée et se multiplie très efficacement, permettant une évolution rapide du virus et de rapides mutations. 7 virus majeurs se dégagent des 70 virus identifiés chez l’abeille mellifères (pas tous pathogènes). 

  1. Le virus des ailes déformées (DWV);
  2. Le virus de la cellule royale noire (BQCV);
  3. Le virus de la paralysie aigüe (ABPV) 
  4. Le virus israélien de la paralysie aigüe (IAPV);
  5. Le virus du Cachemire (KBV);
  6. Le virus de la paralysie chronique (CBPV);
  7. Le virus du couvain sacciforme (SBV).

Le principal problème est de repérer les symptômes cliniques qui sont assez peu nombreux. 

La question essentielle est de savoir quand la charge virale devient problématique. Il est parfois difficile de détecter les problèmes viraux sur base des signes cliniques. Dans ce cas, une aide au diagnostic est apportée par des analyses en laboratoire. Une synthèse à ce propos est faite par Eric Dubois, virologue à l’ANSES Sophia Antipolis, unité de pathologie de l’abeille, le laboratoire de référence européen. Il rappelle le protocole de prélèvement et les méthodes de détection et quantification virale. Il explique la notion importante de seuil qui détermine le point de rupture de l’équilibre abeille/virus (hôte/parasite).

Capture d’écran de la présentation de Eric Dubois

Les virus interagissent avec d’autres facteurs de stress dans les colonies

Quels sont les effets d’interactions qui peuvent contribuer à ces ruptures d’équilibres abeille/virus? Le premier facteur de stress est la charge en varroas. Anne Dalmon rappelle l’importance de bien contrôler le varroa au juste moment. Un traitement tardif ne sera pas en mesure de diminuer la prévalence des virus. Le second facteur est l’ensemble des stress environnementaux. Elle souligne l’importance de la qualité des ressources alimentaires avec un régime pollinique diversifié. Les modifications climatiques (température, périodes de sécheresse…) peuvent à cet égard avoir un impact défavorable en impactant les plantes ressources. Les pesticides sont également des sources de stress dans l’environnement des abeilles et peuvent réduire leur système immunitaire. Une co-exposition du CBPV avec des néonicotinoides permet de dépasser le seuil de développement des symptômes avec pour conséquences principales un non-retour à la ruche, des performances de vol réduites et une modification des rôles dans la colonie impliquant une diminution du nombre de nourrices et son corrolaire, un couvain moins bien soigné. Anne Dalmon souligne vraiment le caractère délétère de l’accumulation des stress et le rôle amplificateur joué par varroa. 

En pratique. Quelles mesures de prévention?

Deux témoignages d’apiculteurs, Thierry Boyé de Parnoy en Bassigny en Haute-Marne et Joël Gosseaume de L’Isle sur la Sorgue dans le Vaucluse, ont permis d’éclairer sur les effets du CBPV dans les ruchers ainsi que les principales mesures à prendre. Ces mesures ont été confirmées et synthétisées par Anne Dalmon qui confirme qu’il faut agir en amont, de manière préventive en évitant des pratiques à risques. Pour appuyer son discours, elle rappelle les principales voies de transmission des virus. Bien comprises, ces voies de transmission permettent d’ajuster les pratiques apicoles. Parmi les voies de transmission horizontale, citons la transmission:

  • par vecteur: le varroa;
  • par voie digestive: trophallaxie, pollen contaminé (le virus reste à la surface du pollen), nourrissement des larves;
  • par contact (pour le CBPV) : une simple blessure sur la cuticule suffit.

La voie de transmission peut être également verticale c’est-à-dire que les virus (DWV, ABPV, SBV) peuvent être transmis par la reine à la descendance. L’accouplement est également un mode de transmission possible (DWV, ABPV). 

La recherche se penche aujourd’hui sur un projet visant à étudier la question de la sensibilité génétique de certaines lignées et sur l’impact favorable de la diversité des populations d’abeilles. 

Au niveau des pratiques apicoles, il faut attirer l’attention sur certains points:

  • l’introduction d’une reine est un risque au sens où le virus se transmet à la descendance. Si la reine exprime les symptômes, il faut changer la reine. Les attaques virales sur la reine sont plus rares car elle est protégée par l’immunité sociale de la colonie: les ouvrières mettent les individus touchés à l’écart.
  • la sélection peut conduire à une fragilité des colonies/virus. Certaines souches d’abeilles semblent plus susceptibles d’être touchées. 
  • l’élevage des reines multiplie par trois les possibles étapes de contamination.
  • le greffage sur très peu de lignées peut présenter un danger. Il faut greffer à partir d’au minimum 10 colonies pour garder une diversité génétique et limiter les risques.
  • la division des colonies doit se faire sur des colonies saines (ne pas faire d’essaims sur des non valeurs).
  • le regroupement des colonies: regrouper une colonie faible mais saine avec une colonie faible infectée conduit à une colonie infectée.
  • la pose de trappes à pollen: le passage dans la trappe peut produire des blessures, des micro-cassures qui facilitent la transmission virale par contact. Dès la constatation d’une atteinte virale, il faut immédiatement détrapper pour éviter que la situation n’empire.
  • la dérive est un facteur favorisant évident: gare aux ruches en ligne.
  • le pillage favorise la transmission généralisée.
  • les colonies les plus fortes sont plus sensibles à la contagion (rapidité de développement du couvain).
  • le lève-cadre peut être un facteur de transmission.
  • les abeilles peuvent se contaminer surles cadavres (devant la ruche par exemple).

Mettre en place un rucher hôpital pour isoler les colonies faibles et symptômatiques est une mesure recommandée, même si ce n’est pas forcément facile à réaliser dans les grosses exploitations. L’important est de suivre plus régulièrement les colonies en quarantaine. Bien surveiller l’état sanitaire des colonies permet de les isoler dès qu’apparaissent les symptômes pour éviter une généralisation de la contagion au niveau de tout le cheptel. 

Il faut noter qu’il n’y a pas de traitements contre les virusIn vitro, certaines propolis ont un effet virucide. On peut supposer que c’est un moyen pour la colonie de maintenir un niveau d’infestation faible. Cela n’est pas curratif. Les seules actions sont préventives. Il faut éviter aux abeilles les cumuls de stress, installer les ruchers dans un environnement approprié et contenir la pression de varroas.

Encore bravo aux organisateurs pour cette rencontre virtuelle très intéressante.