Ce vendredi 02 septembre, le salon BIO Valériane de Nature et Progrès ouvrait les portes de sa 37ème édition à Namur. Véritable lieu de découverte du marché bio, le salon est aussi et surtout un espace d’information : le stand de Nature et Progrès alerte les visiteurs sur les enjeux actuels du secteur agro-alimentaire. Documentations et pétitions étaient ainsi mises en évidence pour informer le public des missions principales de l’association telles que le Plan Bee et le projet Vers une Wallonie sans pesticides. Plusieurs conférences concernant ces sujets et bien d’autres ont eu lieu tout au long du week-end et l’attention était également portée sur la problématique des nouveaux OGM. Pour mieux comprendre de quoi il s’agit, nous avons assisté à la conférence de Catherine Wattiez, Docteur en Sciences Biologiques et chargée de campagne OGM pour Nature et Progrès.
Les OGM, une histoire sans fin
Le début des années 2000 marque l’apparition de la première génération d’OGM en agriculture. Déjà à l’époque, le sujet est source de nombreux débats : les firmes biotechnologiques prétendent recourir à des techniques maîtrisées pour la production d’OGM alors que les preuves d’erreurs génétiques non désirées et souvent nocives abondent. Une vaste mobilisation de l’opinion publique conduit à l’interdiction des cultures OGM en Europe et aboutit à la mise en place d’une Directive (2011/18/CE) ou « Directive OGM » pour inscrire les OGM de première génération dans le cadre d’une règlementation européenne regroupant des conditions relatives à leur production, leur mise en culture et leur traçabilité.
Depuis leur règlementation, ces OGM sont quand même importés pour nourrir les animaux d’élevage et finissent indirectement dans nos assiettes. Et cela ne semble pourtant pas suffire au portefeuille des firmes de l’agro-industrie : depuis quelques années, elles travaillent sur la production de « nouveaux OGM« , sous prétexte d’innovation et de modernité. En 2018, la Cour de Justice Européenne décrète que ces nouveaux OGM doivent alors s’inscrire dans la Directive qui implique plusieurs conditions à respecter : les nouveaux OGM doivent notamment (1) subir une analyse de risques sur la santé et l’environnement, (2) être traçables et (3) être étiquetables. Cette décision constitue un réel frein dans la conquête du marché phytosanitaire européen pour les grandes multinationales qui, depuis lors, mobilisent d’énormes moyens pour « déréglementer » les nouveaux OGM de la Directive et leur éviter de répondre aux conditions qu’elle implique. Au final, l’Europe reste donc le continent à convaincre : les nouveaux OGM sont déjà dérèglementés aux Etats-Unis, en Chine ou encore en Australie et circulent librement dans l’alimentation de leurs consommateurs, à leur insu !
Objectif du lobby des biotechnologies : « Money, money, money »
Le lobby des biotechnologies regroupe plusieurs acteurs du secteur de l’agro-industrie : instituts scientifiques, agriculteurs industriels ou encore firmes et fournisseurs agroalimentaires. Tout ce petit monde défend les valeurs et les intérêts de seulement trois grandes sociétés qui partagent à elles seules le monopole du marché phytosanitaire et des semences (Fig. 1). Selon Catherine Wattiez, en dérèglementant les nouveaux OGM, « leur objectif est de privatiser la filière de survie alimentaire dans l’unique but d’augmenter les retours financiers« .
Stratégies du lobby des biotechnologies
Pour y arriver, les lobbyistes, aux côtés des trois grands, font pression auprès de la Commission depuis 2018. Lors de la conférence, Catherine alerte le public sur le caractère inquiétant de leurs volontés. En effet, les trois grands souhaitent :
- Étouffer la sélection conventionnelle par des exigences de brevetage tant sur des variétés issues de la sélection conventionnelle que sur certaines populations d’origine naturelle. Autrement dit : ils prétendent pouvoir breveter les variétés conventionnelles et naturelles qui présente des traits génétiques similaires à ceux d’une variété modifiée génétiquement et ce, pour obtenir le monopole sur des variétés qui n’utilisent même pas leur technologie. Ils exploitent ainsi les failles juridiques dans la législation des brevets pour « breveter tout ce qu’ils veulent, tout ce qui est vivant » annonce Catherine. En conséquence, ils privatisent la nature et verrouillent tant les sélectionneurs conventionnels que les agriculteurs qui devront payer des royalties pour utiliser du matériel naturel sous brevet.
- Sortir les nouveaux OGM de la Directive OGM et tout ce que cela implique : pour Catherine, les nouveaux OGM déréglementés seront alors risqués (pas d’évaluations des risques obligatoires), non-étiquetés (pas de traçabilité obligatoire) et donc cachés aux yeux du consommateur. Ainsi, la déréglementation exigée par les trois grands permet aux nouveaux OGM, et les éventuels risques qu’ils entrainent, de passer incognito au travers de la chaine alimentaire.
Fait encore plus inquiétant : Catherine Wattiez affirme que la Commission européenne semble à l’écoute de leurs demandes et envisage d’intégrer leurs exigences dans un nouveau règlement plus « soft« , avec des analyses de risques moindres et un étiquetage des OGM plutôt évasif.
En quoi la dérèglementation des nouveaux OGM est-elle dangereuse pour notre santé et notre environnement ?
Pour comprendre les dangers que représentent les nouveaux OGM sur la santé humaine et l’environnement, il faut d’abord revenir sur leur définition et sur la façon dont ils sont produits. Selon la Directive (2011/18/CE), un Organisme Génétiquement Modifié (OGM) est « un organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle ». ll existe différentes façons de modifier génétiquement un organisme vivant et c’est ce qui différencie les anciens des nouveaux OGM (Fig. 2) :
Pour justifier l’existence des nouveaux OGM, les trois grands avancent les mêmes arguments que ceux avancés lors de l’apparition des anciens OGM mais surfent sur la vague du réchauffement climatique en proposant les nouveaux OGM comme « LA » solution du futur : réduction de l’usage des pesticides et des coûts pour l’agriculteur, bénéfique pour l’environnement, augmentation du rendement des cultures et de la qualité des aliments. Ainsi, les nouveaux OGM issus des nouvelles techniques de sélection permettraient de faire face aux changements climatiques et de nourrir le monde. Catherine Wattiez prend le temps de nous expliquer pourquoi ces arguments sont tantôt non-fondés, tantôt sans pertinence.
1. Non, les nouvelles techniques de sélection ne sont pas maitrisées
Il existe actuellement des effets non-intentionnels dû aux erreurs génétiques générées par les nouvelles techniques. Tant les anciennes que les nouvelles techniques de sélection génèrent des substances nocives ou modifient les chaines métaboliques qui induisent alors la production de toxines, d’allergènes et de protéines déficientes au sein de la plante ou de l’animal modifié. Nature et Progrès a recensé des exemples des risques que peuvent engendrer certaines modifications génétiques dans notre alimentation ou notre environnement ici. Plus encore, les mutations ciblées utilisées pour produire les nouveaux OGM se font dans des groupes de gènes vitaux qui augmentent les risques d’erreurs génétiques, plus difficiles à détecter et à contrôler que les erreurs induites par mutations aléatoires utilisées pour produire les anciens OGM. Plus que jamais, l’effet potentiellement néfaste de l’ingestion d’aliments OGM sur la santé animale et humaine doit faire l’objet d’études et d’analyses approfondies et indépendantes aux firmes productrices.
2. Non, les nouveaux OGM ne permettront pas la réduction de l’utilisation des pesticides
L’idée que les nouveaux OGM permettront de pulvériser moins d’herbicides de manière plus efficace contre les adventices, sans porter préjudice à la culture principale, n’est qu’une illusion : les adventices développent progressivement des résistances face aux herbicides utilisés fréquemment. Pour éliminer les adventices devenues résistantes, les herbicides sont utilisés en plus grandes quantités ou doivent être remplacés par de nouveaux herbicides. Ce dernier cas implique le remplacement de la culture principale OGM, devenue inefficace, en une culture OGM résistante aux nouveaux herbicides. Mais l’utilisation de nouveaux herbicides entrainera de nouvelles résistances chez les adventices quelques années plus tard, soit le début d’un cercle sans fin… Catherine Wattiez affirme que c’est exactement ce qui s’est passé pour les OGM de première génération, notamment avec le glyphosate, et les nouveaux OGM ne pourront pas échapper à la règle. De plus, si l’utilisation d’OGM entraine l’augmentation de la présence d’un herbicide sur une parcelle, la substance s’accumule dans la plante qui sert à nourrir les animaux d’élevage. L’herbicide se concentre alors dans la chair animale que nous ingérons, sans savoir les risques que cela implique sur notre santé.
De la même manière que pour les herbicides, la pulvérisation constante ou la présence abondante d’insecticides dans une plante entraine l’apparition de résistances chez les insectes ravageurs. Ici aussi, l’agriculteur n’a pas d’autres choix que de recourir à d’autres insecticides et/ou de changer de culture OGM. Finalement, Catherine résumera simplement : « en fait, un OGM ne fonctionne que quelques années« .
3. Non, les nouveaux OGM ne permettront pas de lutter contre les changements climatiques
Selon Catherine, aucun OGM n’a été développé en ce sens. Si l’on exclut les propos avancés par les firmes et basés sur des essais réalisés en laboratoire ou sous des conditions de terrains locales donc limitées et non généralisées : aucun OGM (ancien ou nouveau) n’a démontré une résistance à la sécheresse, à la salinisation, à certaines maladies ou présentant un rendement plus élevé. De plus, ces traits sont liés à des caractères polygéniques, c’est-à-dire des traits déterminés par plusieurs gènes. Il est alors impossible de cibler plusieurs gènes par les nouvelles techniques de sélection qui induisent des mutations ciblées spécifiques à un ou quelques gènes seulement.
La conférencière interpelle : difficile de comprendre l’obstination des lobbies lorsque la sélection variétale conventionnelle basée sur la reproduction naturelle et utilisée depuis des siècles permet d’obtenir ces traits de manière plus stable, sans qu’on ne touche artificiellement à la génétique…
4. Non, les nouveaux OGM ne permettront pas d’augmenter la biodiversité et l’indépendance de l’agriculteur
Le fait de breveter les OGM anciens et nouveaux génère un cercle vicieux où l’agriculteur est obligé d’acheter chez une firme les semences OGM non reproductibles et résistantes aux pesticides produits par la même firme, auprès de laquelle il devra se fournir quelques années plus tard avec un autre OGM et un autre pesticide. L’agriculteur perd alors en autonomie et voit ses coûts financiers augmenter d’années en années. Par ailleurs, comment les OGM peuvent-ils favoriser la biodiversité si la monoculture d’OGM nécessite des déforestations massives ? Sans évaluation précise, comment s’assurer que les variétés OGM ne contaminent pas les variétés sauvages par croisement, ce qui pourrait mettre en péril la génétique de populations non cultivées ? Dans cette même perspective de contamination, les variétés OGM pourraient-elles transmettre des gènes de résistances aux pesticides à d’autres adventices, voire contaminer des variétés certifiées utilisées en agriculture biologique ? Si les nouveaux OGM ne sont plus règlementés, ces questions cruciales relatives à la biodiversité resteront sans réponses.
Last but not least, comment les firmes productrices d’OGM peuvent-elles prétendre stimuler la biodiversité si elles font appel à des techniques inquiétantes telle que le forçage génétique ? En effet, la technique « force » un parent modifié à transmettre le gène modifié à 100% de sa descendance en quelques générations seulement (Fig. 3). Si la modification génétique est délétère et entraine la mort volontaire de l’individu, elle peut décimer rapidement des populations entières. Pourquoi ? L’exemple que met fièrement en avant le lobby de la biotechnologie est l’éradication des moustiques porteurs du paludisme grâce à cette technique. Peut-être ont-ils oubliés qu’au delà des traitements que s’efforcent les chercheurs à mettre en place contre le paludisme, de nombreux insectes et petits mammifères se nourrissent principalement de ces moustiques et s’ils viennent à disparaître, c’est tout une chaine biologique qui disparait. En voulant éradiquer certaines plantes, rats ou renards modifiés, peut-être ont-ils également oubliés qu’il est possible qu’un gène délétère soit transmis par croisement à des populations sauvages et entraine, involontairement et de manière incontrôlée, l’éradication de tout un tas d’espèces végétales et animales.
Les nouveaux OGM : une fausse solution ?
En conclusion, les agro-industries diffusent beaucoup de promesses mais très peu de résultats : les recherches sont encore en cours pour la plupart des nouveaux OGM essentiellement ciblés pour la résistance aux herbicides et insecticides alors que les chercheurs qui travaillent en ce sens refusent de se soumettre à certaines analyses de risques voire même de diffuser les résultats. Si les nouveaux OGM sont théoriquement encore sous la règlementation européenne, ils pourraient s’en extirper d’ici peu. Le pouvoir sur les semences pourrait se concentrer dans les mains de quelques multinationales, envers et contre tous les droits des citoyens, agriculteurs et sélectionneurs conventionnels.
Pour Nature et Progrès, les solutions du futur sont simples :
- La Commission doit continuer à règlementer les nouveaux OGM pour que chaque consommateur soit libre de savoir et de choisir ce qu’il y a dans son assiette. Les décideurs politiques doivent alors s’assurer de l’efficacité et de la pertinence des nouvelles biotechnologies.
- Les décideurs doivent soutenir les solutions actuelles qui ont fait leur preuve et qui appellent à repenser des systèmes plutôt qu’à remodeler des gènes : l’agroécologie et l’agriculture biologique.
- Les décideurs doivent soutenir la sélection conventionnelle qui consiste à établir une résistance pour l’ensemble du génome, certes plus lente mais plus durable qu’une modification génétique spécifique.
Catherine Wattiez finira sa conférence sur l’importance que nous jouons tou.te.s. dans l’éveil du public et dans la diffusion d’informations permettant d’alerter la presse et la science. Une pétition pour maintenir les OGM dans la législation est ouverte et tout un tas d’informations supplémentaires sont disponibles sur le site de Nature et Progrès pour vous faire votre propre avis avant de signer !