Pratiques apicoles et indicateurs de risques

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Nous avons déjà eu l’occasion de vous présenter certains travaux du service d’Épidémiologie et d’analyse de risques appliquées aux sciences vétérinaires de la faculté de médecine vétérinaire de l’ULiège. Une nouvelle étude, dont les résultats ont été publiés cet été, s’attache à caractériser les pratiques de gestion apicole en Belgique et leur relation avec les pertes de colonies. Une enquête a été réalisée de mai à novembre 2016 auprès d’un pannel d’apiculteurs choisis aléatoirement sur base des 4949 apiculteurs enregistrés à l’AFSCA en 2015. 20 apiculteurs par province ont été ainsi contactés, soit 200 apiculteurs belges au total.

Localisation des apiculteurs interrogés dans chaque province belge – Source: El Agrebi et al. 2021

Méthode

Des entretiens ont été organisés avec chacun des apiculteurs qui ont été interrogés sur la base d’une série de questions permettant une évaluation objective de leur pratique apicole et du taux de perte rencontré dans leur rucher. Les données concernant tant les pratiques que les mortalités portent sur la saison apicole 2015-2016. Un modèle mathématique a ensuite été appliqué pour traiter le résultats des entretiens. Un score a été attribué aux différentes variables (ex. origine du matériel, origine de la cire, etc.) avant de procéder à l’analyse statistique.

Résultats

Nous vous présentons ci-dessous les résultats de l’étude en fonction des champs informationnels traités. Sans être exhaustive, cette liste de résultats apporte un éclairage intéressant et inédit en Belgique sur les pratiques d’un pannel d’apiculteurs significatif.

Démographie et contexte

  • Âge moyen des apiculteurs interrogés : 60 ans
  • Âge minimum : 20 ans
  • Âge maximum : 90 ans
  • Apiculteurs ayant suivi une formation spécifique en apiculture : 87,2%
  • Apiculteurs étant membres d’une association d’apiculteurs : 91,5%

Taille des ruchers et suivi des opérations apicoles

  • Nombre moyen de colonies par rucher : 8,5
  • Nombre minimum : 1
  • Nombre maximum : 60
  • Apiculteurs utilisant un journal de bord : 59,6%
  • Apiculteurs prenant rapidement des notes après leurs interventions : 23,4%

Situation des ruchers

  • En milieu rural : 72,2%
  • A moins de 3 kilomètres de zones de culture : 92%
  • Entourés d’une végétation jugée abondante : 52,9%
  • Ruchers généralement stationnaires
  • Pratique de la transhumance : 19,7% dont 94,4% par des apiculteurs flamands

Motivations de l’activité apicole

  • Intérêt pour les abeilles mellifères : 58,8%
  • Préoccupations écologiques : 47,6%
  • Poursuite d’une activité familiale : 21,9%
  • Production de miel : 23,5%

Typologie des abeilles

  • Buckfast : 40,4%
  • Apis mellifera carnica : 38,3%
  • Abeille noire : 17,7%

A noter que les « abeilles de pays » (hybridation assumée) ne sont pas mentionnées dans les résultats.

Taux de perte moyen en pourcentage pour l’année 2015-2016 

  • Hivernal : 11,8%
  • En saison : 3%
  • Annuel : 14,8%

Ce taux n’est pas jugé particulièrement alarmant par les chercheurs compte tenu du taux de pertes acceptable de 10 % selon une étude publiée par les mêmes chercheurs de la faculté de médecine vétérinaire de l’ULiège (El Agrebi et al., 2021).

Estimation de la cause des pertes de colonies par les apiculteurs

Manque de bonnes pratiques apicoles et dangers liés à gestion apicole : 41,7%.

Répartition des problèmes les plus rencontrés (non évités) entraînant des pertes de colonies. Source: El Agrebi et al. 2021

Ruches principalement utilisées

  • Dadant-Blatt (10 ou 12 cadres) : 46,5% en Belgique et 88,5% en Wallonie
  • Simplex : 53,8% en Flandre

Elevage de reines

  • Reines auto-produites: 58,8% des apiculteurs
  • Reines auto-produites marquées : 71%
  • Reines auto-produites destinées à un usage personnel : 56,7%
  • Nombre moyen de reines achetées/an : 1,2
  • Reines achetées en Belgique : 91%
  • Reines achetées en Union européenne : 10,7%
  • Reines de moins d’un an dans les colonies : 51%
  • Reines entre un et deux ans dans les colonies : 31,3%
  • Reines de plus de deux ans dans les colonies : 17,7%
  • Nouvelles reines introduites au printemps : 60%
  • Nouvelles reines introduites à l’automne :40%

Méthode de reproduction et provenance des essaims

  • Division des colonies : 48,8%
  • Division des colonies suivie de l’introduction de reines fécondées : 42,8%
  • Moyenne des colonies produites par apiculteur et par an : 4,6 (la moitié de ces nouvelles colonies ont été transmises à d’autres apiculteurs)
  • Nombre d’essaims introduits dans le rucher en moyenne par apiculteur et par an : 1,28
  • Essaims récoltés : 34,2%
  • Essaims transmis par un autre apiculteur : 33,3%
  • Essaims transmis après avoir été récoltés : 25,6%
  • Essaims transmis après avoir été achetés dans l’Union européenne : 9,4%

Critères d’élevage

  • Douceur des abeilles : 75 ,9%
  • Productivité et taux de ponte des reines : 28,9%
  • Comportement hygiénique : 10,7%
  • Tolérance au varroa : 11,8%

Méthodes de mise en hivernage et suivi hivernal

La préparation hivernale débute généralement après la dernière récolte de miel, en commençant par un traitement anti-varroa.

  • Adapter l’espace de la ruche avec des partitions : 38,5%
  • Réduire l’entrée de vol : 71,1%
  • Contrôler la présence/l’activité de la reine : 74,3%
  • Estimer la force des colonies : 82,5%
  • Colonies estimées fortes avant l’hivernage : 63,1%
  • Colonies estimées acceptables avant l’hivernage :14,7%
  • Colonies estimées faibles avant l’hivernage :14,7%
  • Aération par retrait du tiroir de fond : 60%
  • Plancher grillagé : 92%
  • Ruches généralement placées à 40 cm au-dessus du sol
  • Pratique d’un suivi hivernal : 77,5%
  • Suivi hivernal par contrôle du plancher : 68,4%
  • Suivi hivernal par contrôle du plancher moins d’une fois par mois : 48,3%

Suivi printanier des colonies

  • Premier contrôle avant avril : 54,8%
  • Utilisation de partitions pour réduire l’espace de la ruche : 45,3%
  • Vérification du couvain : 88,3%
  • Vérification des entrées de pollen : 90,7%
  • Regroupement des colonies faibles avec des colonies plus fortes : 23,4%
  • Contrôle de l’essaimage : 80,6%
  • Contrôle de l’essaimage via la destruction de cellules royales : 54,9%
  • Contrôle de l’essaimage via essaimage artificiel : 33,5%

Suivi estival des colonies

  • Contrôle de la qualité et de l’homogénéité du couvain : 85,2%
  • Contrôle de la quantité et de la position de la  nourriture : 78,7%
  • Constat d’un pillage par des guêpes (Vespula germanica) : 36,4% (en 2015)

Prophyllaxie

  • Désinfection du matériel après mortalité et avant réutilisation : 66,8%
  • Grattage : 53,5%
  • Utilisation d’un chalumeau : 62%
  • Renouvellement de 25 à 50% des cadres par an : 58,3%
  • Cire d’abeille recyclée : 32,6%
  • Cire d’abeille commerciale achetée : 57,2%
  • Présence de fausse teigne dans les cadres : 63,2%

Nourrissement

  • Nourrissement après récolte : 36%
  • Nourrissement avec du sirop de sucre maison : 71,6%
  • Alimentation hivernale : 80,2%
  • Utilisation de produits de nourrissement commerciaux pour alimentation hivernale : 63%
  • Quantité mmoyenne donnée aux abeilles : 13,3 ± 4,5 kg
  • Nourrissement après l’hiver : 44,4%
  • Nourrisement après l’hiver avec un candi commercial : 65,4%

Lutte contre varroa et gestion sanitaire

  • Recours aux conseils d’un vétérinaire pour une prescription : 88%
  • Traitement automatique sans diagnostic : 80%
  • Détermination du taux d’infestation : 19,3%
  • Comptage des chutes naturelles de varroa :42,2%
  • Utilisation d’acides organiques (oxalique/formique/lactique) en été et en hiver : 29,5%
  • Utilisation de thymol en combinaison avec des acides organiques : 27,3%
  • Utilisation d’acides organiques en usage unique : 10,4%
  • Traitement estival avec des médicaments vétérinaires autorisées par l’UE associé à des acides organiques : 8,2%
  • Utilisation de moyens biotechniques (retrait du couvain de mâle etc.) en complément de traitements de lutte contre varroa : 36,4%
  • Traitement d’été appliqué en août après la récolte : 62,9%
  • Traitement hivernal appliqué en décembre entre Noël et le nouvel an : 57,8%
  • Absence de connaissance du taux d’infestation de varroa : 82,9%
  • Vérification de l’efficacité des traitements : 74,3%
  • Détection de Nosema : 6,95%
  • Détection du virus des ailes déformées : 39,6%
  • Aucun problème particulier détecté : 80%

Récolte

  • Rendement de la production de miel : 3,8% des apiculteurs n’ont pas souhaité répondre.
  • 2 récoltes par an : 76,9% des répondants
  • Production moyenne par colonie : 27,5 ± 16,9 kg
  • Rendement moyen en miel des colonies de production : 31,03 ± 18,8 kg

Commentaires additionnels liés aux entretiens

Les questions ouvertes de l’entretien ont permis aux apiculteurs d’exprimer leurs inquiétudes concernant un certain nombre de sujets. Parmi les principales préoccupations des apiculteurs se trouvent :

  • Les pertes de colonies;
  • Les problèmes liées à la reine (colonies orphelines, reines non fécondées, reines pondeuses de faux-bourdons) ;
  • Le manque de directives claires concernant la lutte contre varroa et l’alternative aux produits vétérinaires (perception) ;
  • La qualité de la cire du commerce ;
  • Les contaminants dans les ruches.

A noter enfin que les apiculteurs interrogés étaient tous de petits apiculteurs qui ne vivaient pas de leur apiculture et n’avaient donc pas de contrainte économique.

Quelles sont les principales conclusions des chercheurs qui ont mené cette étude ?

Les chercheurs ont identifié des indicateurs de risque et de protection parmi les pratiques apicoles qu’ils ont relevées. Ils les ont classées en fonction de leur importance relative. Des interrelations ont également été identifiées entre ces différents indicateurs, utilisées pour expliquer les pertes de colonies. Selon eux, les principaux facteurs protégeant les colonies d’abeilles mellifères sont l’aptitude de l’apiculteur à changer ses pratiques de gestion, le type de ruche, la provenance et l’hygiène du matériel, un hivernage dans de bonnes conditions, l’estimation de la force de la colonie avant l’hivernage, la surveillance durant l’hiver et la gestion intégrée appropriée des « ravageurs ». Pour améliorer les pratiques apicoles et réduire le risque de pertes de colonies, il faudrait, selon les résultats de cette étude, une meilleure gestion des cadres, une meilleure hygiène du matériel et une meilleure gestion de varroa, en particulier une estimation correcte de son niveau d’infestation. Les chercheurs recommandent l’élaboration d’un Guide de bonnes pratiques apicoles ciblé sur la santé de l’abeille pour compléter le Guide des bonnes pratiques apicoles qui, comme chacun sait, est quant à lui réalisé dans le cadre de la législation relative à l’hygiène alimentaire des produits animaux et de l’autocontrôle (validé par l’AFSCA) avec un objectif de production alimentaire. Profitons-en pour signaler que ce Guide des bonnes pratiques apicoles est en cours de réédition avec un élargissement à la production de pollen, gelée royale et propolis.

A noter que les chercheurs mettent à disposition des apiculteurs une application web conçue comme un outil de conseil pour améliorer la pratique apicole des apiculteurs non professionnels. C’est également une possibilité d’entrer en contact avec eux.

Référence :

El Agrebi, N., Steinhauer, N., Tosi, S., Leinartz, L., de Graaf, D. C., & Saegerman, C. (2021). Risk and protective indicators of beekeeping management practices. Science of The Total Environment, 149381.