Passer l’hiver

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La FNOSAD et Apidor ont invité Jean-Luc Delon à faire une synthèse de la question de l’hivernage lors de la Journée Technique du 27 novembre dernier. Jean-Luc Delon est formateur à la FNOSAD et en Centre de formation professionnel agricole. Il préside également le Groupement de défense sanitaire de l’Hérault (GDSA 34). Sa présentation a rappelé des aspects fondamentaux de la préparation à l’hivernage qu’il n’est jamais inutile de reconsidérer, même si la gestion de l’hivernage commence dès le mois d’août, on est bien d’accord.

Jean-Luc Delon Capture d’écran – flux Youtube – FNOSAD

La stratégie de survie des abeilles mellifères

Chez les hyménoptères sociaux comme les guêpes ou les frelons, la colonie disparaît temporairement en hiver avec la mort des ouvrières. La survie est confiée aux futures reines qui sont produites par la colonie souche. Elles cherchent un refuge pour passer l’hiver, réduisent leur activité et rebâtissent le nid et la colonie au printemps. Les abeilles mellifères ont développé une stratégie de survie hivernale qui repose sur :

  • la présence d’ouvrières dites « abeilles d’hiver » ;
  • le stockage d’aliments énergétiques (miel) et protéiques (pollen et pain d’abeilles) ;
  • des techniques de conservation de ces réserves ;
  • un matériau de construction durable produit par les abeilles elles-mêmes (cire) ;
  • un système complexe de maintien de la température (grappe hivernale).

Les abeilles d’hiver ont cette particularité d’être constituées différemment des abeilles d’été, avec un corps gras plus développé, une hémolymphe et des glandes hypopharyngiennes plus chargées en protéines. Les abeilles d’hiver naissent en été. Leur production dans la colonie repose sur des modifications hormonales : les phéromones du couvain qui ralentissent, les hormones juvéniles qui baissent. Des reprises de ponte tardives, suscitées par l’environnement ou par l’apiculteur, ne peuvent que nuire à l’espérance hivernale de la colonie en entamant sa longévité.

Comme c’est souvent le cas dans la nature, les abeilles mellifères font des réserves en suffisance pour passer l’hiver. Ces réserves bénéficient dans leur cas de techniques de conservation que Jean-Luc Delon qualifie de « biotechnologiques ». Ces techniques incluent le séchage du nectar, concentré par évaporation de l’eau jusqu’à moins de 18%, l’operculation des alvéoles de cire, la transformation du pollen de fleurs en pain d’abeilles c’est-à-dire un mélange de pelotes de pollen, de miel et de ferments lactiques qui en garantissent la conservation. A ces techniques s’ajoutent l’aseptisation de la colonie grâce au colmatage avec la propolis. Ajoutons l’eau, nécessaire à l’assimilation du combustible qu’est le miel. Pour digérer 1 kg de sucre il faut environ 0,7 litres d’eau à la colonie.

La grappe hivernale est une stratégie mise en place non pas pour chauffer l’habitat mais pour conserver la chaleur émise par le cœur de la grappe et ainsi protéger les abeilles qui hivernent, le couvain s’il est présent et la reine, au centre du dispositif. Les abeilles en périphérie se retrouvent au cœur de la grappe par un système de rotation assez similaire à celui que les colonies de manchots empereurs mâles utilisent pour résister au froid polaire et protéger leurs œufs. Un déplacement des individus permet à tous de se retrouver régulièrement loin de la zone périphérique plus exposée. La différence entre les deux modèles animaux est évidemment que les abeilles sont elles-mêmes émettrices de chaleur, transformant le sucre, l’eau et l’oxygène en énergie grâce à l’action des muscles allaires. La taille de la grappe n’est pas anodine : plus elle est importante, moins elle subit de pertes thermiques et moins elle consomme de « carburant ».

Capture d’écran – Température de la grappe

L’apiculteur a le devoir de veiller aux ressources hivernales

L’apiculteur joue un rôle déterminant en s’assurant que la colonie est suffisamment et bien alimentée pour être en mesure de constituer des réserves hivernales qui répondront à ses besoins. Un des points à considérer à cet égard est la digestibilité de cette nourriture. Les miels de fleurs sont plus digestes que les miellats. Les abeilles digèrent plus facilement les sucres simples (ex. glucose, fructose, saccharose…). D’une manière très générale, pour rappel :

  • Mieux vaut éviter le sucre de betterave semi-raffiné ;
  • Même si elle est plus facile à utiliser (moins de cristallisation et moins de risques de pillage), l’inversion des sucres ne les rend pas plus digestes ;
  • Le miel est la nourriture idéale pour les abeilles puisqu’il contient sucres et sels minéraux, acides organiques, vitamines, enzymes, flavonoïdes, etc. Attention toutefois aux risques ! Toujours nourrir avec son propre miel en provenance d’une colonie saine et si possible du miel de la même colonie. Gare aux spores de loque américaine si vous ne prenez pas ce type de précaution. Attention aux pillages, le miel étant particulièrement attractif pour les abeilles (réduire les entrées des colonies et nourrir en fin de journée).
  • Les sirops du commerce, sirops de maïs à haute teneur en fructose, sirops invertis à base d’amidon de céréales ou même sirops invertis issus du saccharose de betterave sont de qualité inégale. Certains ne répondent pas parfaitement aux besoins des abeilles.

Il faut garder en tête que, plus la nourriture est adaptée aux besoins des abeilles, plus sera réduite la probabilité d’une sortie hivernale pour vider l’ampoule rectale prématurément dilatée.

Les ressources nutritives dans l’environnement sont à surveiller dès que commencent à naître les abeilles d’hiver (courant d’été et automne). Il faut veiller à la variété des ressources alimentaires autour des ruchers et aux entrées de pollen qui sont importantes pour le couvain des abeilles d’hiver. Une bonne évaluation des réserves est capitale. Un nourrissement adapté est également décisif. Jean-Luc Delon a rappelé très justement que « toutes les colonies d’un même rucher n’ont pas les mêmes besoins en compléments de  nourriture. » Il est aussi utile de tenir compte d’éventuelles miellées tardives et de l’influence des conditions climatiques sur les ressources et les consommations. Il faut répondre aux besoins de la colonie et ne pas trop donner, mal donner ou trop tardivement. Trop nourrir est non seulement inutile mais a des répercussions au printemps sur la gestion des cadres de provision, des blocages de ponte, des essaimages prématurés, etc. Poser un geste en apiculture a souvent des conséquences à long terme sur la colonie. Le nourrissement sera toujours distribué alors que les colonies sont encore en activité et rarement au-delà du 15 novembre. La quantité sera évaluée par l’apiculteur en fonction des réserves déjà présentes et de la taille de l’habitat (ruche, ruchette, nucleus).

Capture d’écran – Eviter la famine de fin d’hiver

Petit rappel des travaux importants pour un bon hivernage

L’apiculteur doit faire un état des lieux de ses colonies avant l’hivernage. Cette visite de contrôle automnale lui permet d’engranger des données importantes pour bien préparer ses colonies.

  • Quel est le nombre de cadres occupés ?
  • Combien pèse la ruche ou la ruchette ?
  • Quelle est la part des réserves de nectar et de pollen ?
  • Comment les réserves sont-elles réparties sur les cadres ?
  • Y a-t-il un stockage de miel ou de pollen dans la zone de ponte de la reine (encombrement et famine en fin d’hiver) ?
Capture d’écran – un cadre inapproprié: stockage de pollen dans la zone de ponte de la reine

C’est avant tout l’expérience et le regard de l’apiculteur qui va détecter les anomalies dans le couvain (ex. couvain mosaïque) et évaluer l’état de la colonie.

Parmi les travaux à réaliser en vue d’un bon hivernage se trouvent aussi tout ce qui permet de diminuer les facteurs de risques pour les abeilles. La première pression sur la colonie reste varroa et les infections virales qui lui sont liées. L’impact sur les défenses immunitaires des colonies n’est plus à démontrer. Des ouvrières trop parasitées, des colonies ayant subi un traitement trop tardif ne vont pas correctement prendre en charge l’élevage des abeilles d’hiver, réduisant ainsi le capital de survie de la colonie. Traitements et vérifications de l’infestation, le contrôle des chutes par exemple, doivent avoir lieu le plus tôt possible après la récolte.

D’autres points sont aussi à garder en tête comme la force de la colonie, le site d’hivernage, la présence éventuelle de frelons asiatiques et leur pression sur les colonies en fin de saison.

L’évaluation de la vitalité de la colonie (récoltes, régularité de la ponte, densité du couvain, etc.). Les colonies trop faibles auront peu d’espérance de vie hivernale. Il s’agira de juger quelle colonie peut avec bénéfice être renforcée par l’ajout d’un ou deux cadres de couvain naissant en bon état sanitaire prélevé sur une colonie forte. Les colonies où l’on soupçonne un problème sanitaire ont peu de chance de passer l’hiver. Plusieurs techniques de réunion de colonies sont envisageables  en  fonction de la situation (essaims tardifs bien développés, essaim tardif avec jeune reine et colonie avec une reine âgée en fin de capacité de production, etc.)

La gestion du volume occupé par la colonie en hiver fait partie de la liste des travaux de mise en hivernage. Le volume de la ruche sera adapté à la dynamique de la colonie selon l’évaluation de l’apiculteur. Le bon usage des partitions est nécessaire pour cela. Les cadres de rives trop chargés de réserves de nourriture seront enlevés et remplacés par des partitions. L’idéal est de partitionner les deux côtés de la ruche mais si une seule partition est placée, elle le sera du côté le plus froid. Nous ne reviendrons pas sur l’isolation de la ruche qui doit permettre à la ruche de respirer et ne pas favoriser l’humidité excessive dans la colonie.

Capture d’écran – gestion du volume

La présence du frelon asiatique autour des ruches génère du stress au pire moment de l’année. Cela a un impact non négligeable sur les entrées de pollen pourtant nécessaire au couvain d’automne. Cela accentue la faiblesse des colonies qui le sont déjà.

Il faut veiller à minimiser les sources de perturbation des ruches sur le site d’hivernage. Gare aux risques de chutes de branches ou de frottements qui suffisent à perturber une colonie en hivernage. Les lieux humides, sombres, balayés par les courants d’air froids sont évidemment peu propices à l’accueil d’un rucher en hiver. Poser des réducteurs d’entrée permet aux abeilles d’éviter certains intrus (mulots) et de mieux gérer les tentatives de pillage.

Références pour compléter :