Lors du dernier webinaire organisé par l’itsap institut de l’abeille ce jeudi 12 Janvier 2023 dans le cadre des « Jeudi en Prade », le sujet des relations entre apiculteurs et agriculteurs a été abordé et décliné sous ses différentes facettes. Différents intervenants se sont relayés pour nous présenter les sujets suivants :
- La gestion agricole et apicole d’une exploitation, présentée par Thomas Baudry, éleveur caprin et apiculteur dans la commune de Marigny (dans le département des Deux Sèvres en Poitou-Charentes).
- Le projet R2D2 visant à accompagner une dizaine d’agriculteurs dans une transition agroécologique vers un modèle agricole plus accueillant pour les pollinisateurs, présenté par Nicolas Cerruti, chargé d’études pollinisation et régulation naturelle chez Terres Inovia.
- Le rôle crucial des abeilles dans la création des semences, présenté par Jean Christophe Conjeaud, responsable des projets Recherche et Développement chez Anamso (Association Nationale des Agriculteurs Multiplicateurs de Semences Oléagineuses).
- L’historique des règlementations sur l’utilisation des produits phytosanitaires en agriculture, présenté par l’itsap institut de l’abeille.
- Les résultats d’une étude comparative de l’impact de l’environnement entre un environnement de verger et d’autres environnements, présentés par Audric Argillez de l’itsap institut de l’abeille.
L’objectif de cette rencontre était, dans un premier temps, de mettre en valeur les projets et les évènements en faveur du dialogue entre apiculteurs et agriculteurs, et, dans un second temps, de faire le point sur les initiatives à l’avantage de l’entomofaune pollinisatrice dans les systèmes agricoles. Notre article revient sur les interventions de Thomas Baudry, de Nicolas Cerruti et de Jean Christophe Conjeaud.
Concilier apiculture et agriculture, c’est possible !
Mr Thomas Baudy en est la preuve. D’abord agriculteur (élevage caprin) devenu par la suite apiculteur dans un souci de diversification de ses activités agricoles, il partage les diverses adaptations qu’il a dû entreprendre dans son exploitation afin d’aborder au mieux sa nouvelle activité apicole. Certaines de ses habitudes agricoles ont en effet dû être modifiées pour permettre un environnement plus favorable aux abeilles de son rucher. In fine, il nous explique que son profil d’agriculteur-apiculteur lui procure de nombreux avantages. D’un point de vue communication, Mr Thomas Baudy constate une plus-value et un gain de crédibilité dans les milieux agricole et apicole. Il est désormais plus facile pour lui de communiquer avec les apiculteurs, maintenant qu’il a appris à parler leur langage. Il est également plus aisé pour Mr Baudy de communiquer avec le grand public, l’apiculture bénéficiant d’une image positive et redorant ainsi l’image de son exploitation agricole.
Modifications et adaptations pour l’utilisation des produits phytosanitaires
Thomas Baudy explique qu’il effectue ses traitements phytosanitaires une fois que ses abeilles sont rentrées mais que cela nécessite un certain équipement. Dans un premier temps, Mr Baudy est équipé de ruches sur balances lui permettant d’observer l’heure à laquelle l’entièreté de ses abeilles sont rentrées dans les ruches. Ensuite, il explique qu’il dispose de technologies à bord de son tracteur lui permettant de travailler la nuit (GPS,…), ce qui n’est pas forcément le cas de tous les agriculteurs. Enfin, Mr Baudy explique que traiter le soir demande une modification des habitudes agricoles. En effet, les agriculteurs effectuent généralement plutôt les traitement phytosanitaires très tôt le matin.
Consacrer un temps supplémentaire à l’apiculture
Thomas Baudy nous avoue qu’il ne pensait pas que les abeilles lui prendraient autant d’énergie. Une partie non négligeable de son temps de travail est désormais consacrée à l’apiculture. Il ne s’agit effectivement pas de simplement venir récolter le miel en fin de saison. L’apiculture est une activité qui nécessite toute une gestion et une certaine technicité comme il le rappelle.
Générer une plus grande ressource mellifère en adaptant les rotations et les plans de culture
Dans sa gestion agricole, Mr Baudy explique qu’il essaye de promouvoir l’implantation de ressources mellifères. Il garde toutefois un esprit critique sur l’impact et la pertinence de cette implantation d’un point de vue agronomique. L’implantation d’un couvert mellifère peut par exemple engendrer des repousses indésirables l’année suivante tout en étant inutile pour les abeilles lorsque les conditions pédoclimatiques ne permettent pas la production de nectar ou de pollen. Il a déjà pu observer que la luzerne sur les sols calcaires et secs de son exploitations ne donne pas de nectar et ne présente ainsi aucun intérêt, ni pour ses abeilles, ni pour une valorisation agronomique. Le sainfoin par contre semble plus prometteur en tant que producteur de nectar sur sol calcaire et sec. Selon Mr Baudy le réel trait d’union entre le secteur apicole et agricole est la récolte de pollen, cette dernière étant plus stable et fiable que la récolte de miel.
Trouver un juste milieu entre gestion agricole et apicole
Le choix de la période de fauchage (avant ou après la floraison) en est un bon exemple. On sait par exemple que la luzerne est de meilleure qualité fourragère lorsqu’elle est fauchée avant la floraison. Cependant, une telle fauche ne laisse pas la possibilité aux pollinisateurs d’exploiter la potentielle ressource mellifère de la culture. Cultiver un autre fourrage tel que le sainfoin permet un meilleur compromis entre gestion agricole et apicole. Mr Baudy et d’autres agriculteurs de sa région réalisent actuellement des tests et il semblerait que la différence de qualité du fourrage ne soit pas trop importante s’il est fauché avant ou après floraison. Laisser les abeilles butiner le sainfoin avant de le faucher permettrait une valorisation optimale de la culture, à la fois d’un point de vue agronomique (pour le fourrage) et d’un point de vue apicole (pour le flux de nectar et de pollen généré lors de la floraison).
Le projet R2D2, un projet qui accompagne une dizaine d’agriculteurs dans une transition agroécologique vers un modèle agricole plus accueillant pour les pollinisateurs.
Ce projet à l’initiative de Terres Inovia prend place en Bourgogne, région dans laquelle une résistance de plus en plus poussée des ravageurs du colza aux produits phytosanitaires a pu être observée. Dans ce contexte, le projet R2D2 vise à améliorer les régulations biologiques en favorisant le développement des populations d’auxiliaires, notamment par la création d’un environnement favorable à leur développement. Le projet accompagne individuellement et collectivement une dizaine d’agriculteurs de la région, désireux de trouver une alternative à l’utilisation des produits phytosanitaires. Il recouvre un territoire d’une surface de 1330 ha de grandes cultures. Le projet a débuté en 2020 et s’inscrit sur une période de 6 ans. Un suivi scientifique des opération est effectué afin de quantifier les effets des actions mises en place.
Le projet R2D2 se concentre dans un premier temps sur la régulation des ravageurs des cultures de colza (coléoptères), notamment grâce aux guêpes pondeuses parasitoïdes. Nicolas Cerutti affirme qu’il est possible d’observer des taux de parasitisme (efficacité de régulation grâce aux auxiliaires parasitoïdes) qui montent jusque 90% lorsque le paysage fonctionne bien et que l’on est en équilibre d’un point de vue écosystémique. Aujourd’hui sur le terrain, Mr Cerutti ne peut que déplorer un taux de parasitisme avoisinant les 0%. Cela s’explique entre autre par l’application des produits phytosanitaires qui ne permettent pas le développement de la faune auxiliaire. Le contexte pédoclimatique et les sécheresses de plus en plus fréquentes sont aussi des facteurs explicatifs de la faible présence de ces auxiliaires. Aujourd’hui, alors que l’on s’aperçoit que les ravageurs deviennent de plus en plus résistants à ces produits, il est important de miser sur l’action des auxiliaires en inversant la tendance. Les objectifs du projet sont d’améliorer les performances des cultures de colza tout en réduisant l’usage des insecticides (jusqu’à 0 IFT) et des herbicides (jusqu’à 1 IFT). Un IFT est un Indicateur de Fréquence de Traitement phytosanitaires.
En vue d’atteindre ses objectifs, une stratégie holistiques jouant sur plusieurs leviers agricoles doit être réfléchie. A contrario d’une simple utilisation de produits phytosanitaires, développer une telle stratégie nécessite des connaissance agronomiques poussées de l’ensemble de la part de l’ensemble de l’écosystème agricole. Trois axes de travail sont développés par le projet R2D2 à cet effet.
- Le premier axe consiste à jouer sur la robustesse des cultures. Il est par exemple intéressant d’adapter la date des semis afin que ces derniers puissent lever dans les meilleures conditions (en prévision d’une pluie). La nutrition des plantes est aussi un facteur important qui permet à ces dernières de mieux se défendre en cas d’attaque des ravageurs. Ensuite, les associations des cultures avec des légumineuses gélives (qui meurent suite au gel en hiver) augmentent la robustesse de la culture principale en permettant une meilleure exploitation racinaire et en brouillant les pistes des ravageurs qui ont alors plus de difficultés à identifier la plante à attaquer. L’association du colza avec la féverole en est un bon exemple. Enfin, une structure du sol adéquate permet un meilleur enracinement et ainsi une meilleure exploitation des horizons par la culture.
- Le deuxième axe consiste à favoriser la régulation biologique par le développement des populations d’auxiliaires dans le paysage agricole. Il s’agit par exemple de créer des zones non perturbées offrant le logis et le couvert aux auxiliaires. Les guêpes parasitoïdes ont par exemple besoin de zones exemptes de travail du sol pour se loger. Il est important de créer un véritable réseau de zones accueillantes pour la faune auxiliaire permettant ainsi l’implantation de cette dernière sur l’ensemble du territoire. Les structures paysagères déjà existantes (alignement d’arbres, haies, zones sauvages…) sont de bons points d’ancrage pour la formation d’un tel réseau.
- Le troisième axe vise à mettre en place des « intercultures pièges » permettant de diluer la pression paysagère des ravageurs et de les piéger par le suite lorsque l’interculture est détruite mécaniquement. Dans le cas des ravageurs du colza, les intercultures pièges sont constituées de crucifères attractives pour les altises telles que le radis chinois. L’effet de dilution des altises permet de diminuer de moitié la pression de ces ravageurs sur les cultures de colza. Ensuite, la destruction (au rouleau) de ces intercultures purge le paysage agricole d’une grosse partie de la population des ravageurs. Une moindre émergence de ces derniers au printemps suivant peut être observée.
Le projet R2D2 laisse entrevoir quelques résultats encourageants. Les agriculteurs concernés par le projet n’effectuent désormais plus que des traitements à la suite d’une réflexion approfondie. Plus aucun traitement d’assurance (traitements réalisés en prévention sur les cultures) n’est d’actualité. Le projet R2D2 ne s’inscrit toutefois pas dans une démarche d’agriculture biologique. Le projet cherche à développer une agriculture réfléchie à mi-chemin entre le bio et le conventionnel, permettant ainsi plus de souplesse dans la gestion agricole. Un autre résultat positif du projet est le maintien des cultures de colza dans la région (avec un rendement correcte) malgré un contexte initialement critique. D’un point de vue de l’utilisation des produits phytosanitaire, une diminution peut être observée mais l’objectif seuil n’est pas encore atteint. Le projet est lancé et montre déjà quelques résultats encourageants mais une certaine marge de progression peut encore être envisagée. La lutte intégrée en céréales nécessite encore quelques avancées. Les pucerons qui sont les plus gros ravageurs de ces cultures sont en effet complexes à réguler sans l’utilisation de produits phytosanitaires.
L’importance des pollinisateurs dans les chantiers de pollinisation en production de semences d’ oléagineuses.
La production de semences d’oléagineuses vise à obtenir des graines de qualité en quantité afin de les revendre par la suite aux agriculteurs qui désirent cultiver l’oléagineuse en question (colza/tournesol). Dans le cas du colza ou du tournesol, on cherche souvent à croiser 2 variétés différentes pour obtenir une semence hybride, générant un meilleur rendement dû à l’effet d’hétérosis. En pratique, des rangées de plantes mâles d’une variété et des rangées de plantes femelles d’une autre variété sont plantées séparément. La pollinisation permettant le transport du pollen des plantes mâles vers les plantes femelles est donc indispensable pour assurer la fécondation de telles cultures. Contrairement à ce que l’on pensait par le passé, cette pollinisation des cultures de colza et de tournesol est principalement entomophile et non anémophile (le vent n’étant responsable que de seulement 10 à 15% de la pollinisation). Le rendement des productions de semences hybrides dépend à 80 % des abeilles sauvages et domestiques. Pour les cultures de production pour la consommation, cette contribution entomophile à la pollinisation est moins indispensable étant donné que ces cultures ne sont pas organisée en bandes de fleurs mâles et de fleurs femelles.
Avantages de la pollinisation
En plus d’être indispensable pour la fécondation des cultures « de semences », la pollinisation entomophile permet de gagner jusqu’à 10% de faculté germinative ! C’est un élément non négligeable pour les producteurs de semences qui sont tenus de respecter un taux de germination minimum. L’augmentation des capacités germinatives des semences est également important pour les agriculteurs qui sèmeront ces graines par la suite. Lorsque le bon nombre de pollinisateurs sont apportés sur la parcelle à polliniser, la pollinisation entomophile permet aussi de raccourcir la période de floraison. Un gain de temps d’environ une semaine permettant une récolte précoce constitue un avantage intéressant sur le marché. Enfin, la pollinisation entomophile permet d’obtenir un produit d’une meilleure qualité en obtenant de plus grosses graines. Cela augmente le poids de la vente (poids de mille grains) et facilite les futurs semis.
Qui sont les pollinisateurs principaux des cultures d’oléagineuses ?
95% des pollinisateurs dans les parcelles sont représentés par les abeilles sauvages et mellifères. Selon Mr Jean-Christophe Conjeaud (Association Nationale des Agriculteurs Multiplicateurs de Semences Oléagineuses), il existe une synergie entre la présence des abeilles sauvages et mellifères qui permet d’améliorer jusqu’à 5 fois les capacités pollinisatrices des abeilles mellifères. Aujourd’hui, les productions de semences sont réalisées dans des endroits où sont présentes les abeilles sauvages. Parmi les abeilles mellifères, les butineuses « de nectar » seraient selon Mr Conjeaud plus intéressantes que les butineuses « de pollen » pour la pollinisation. En effet, ces dernières stockent le pollen sur leurs pattes arrières, le rendant alors inapte à la fécondation des fleurs. Il y a donc un certain intérêt à ce que les plantes secrètent une bonne quantité de nectar.
Définition du nombre de colonies nécessaires
Le service Beexpert proposé par l’Anamso permet d’estimer la charge en abeilles nécessaire pour permettre une pollinisation optimale (voir pdf ci dessous). Une relation mathématique entre le nombre d’inter-cadres recouverts par les abeilles et le nombre de butineuses a pu être établi. Lorsque le nombre de colonies apportées sur le terrain est trop important, Jean Christophe Conjeaud explique qu’une grosse demande en pollen peut se faire ressentir par les abeilles, ce qui peut nuire à la bonne fécondation des plantes. En effet, ces dernières collectent alors le pollen en la stockant sur leurs pattes arrières et la rendant ainsi indisponible pour la pollinisation des fleurs. Une surfréquentation des fleurs peut aussi nuire à la qualité des semences. En effet, si l’ensemble des fleurons du capitule de la plante est fécondé, cela mène à la production d’une grande quantité de petites graines. Or, la taille des graines est un critère de qualité. Pour polliniser un hectare de colza, on estime qu’il faut environ 2 colonies de 30 000 abeilles par hectare.
Un partenariat avec les apiculteurs
Les apiculteurs construisent leurs colonies pour correspondre au cahier des charge des semenciers. Avant chaque opération de pollinisation, les colonies sont évaluées afin de confirmer le bon respect du cahier des charges par l’apiculteur. Il est important que ce dernier respecte avec attention les exigences du cahier des charges, afin d’être exempt de toute responsabilité si une pollinisation imparfaite est constatée. Les apiculteurs participant au service de pollinisation peuvent espérer une rémunération à hauteur de 45 à 55€ par ruche. Il est à noter qu’une plateforme orientée pollinisation et intitulée Beewapi (https://www.beewapi.com/) a été lancée en 2013 par l’Anamso afin de faciliter les échanges entre apiculteurs et agriculteurs.