Adoption de la « loi Duplomb » : qu’en est-il?

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Dans notre dernier article sur la loi Duplomb, on vous avait présenté l’avancement de l’adoption législative ainsi que les tenants et aboutissants de la proposition de cette loi. Dans ce nouvel article, nous vous présentons les récentes modifications qui ont été acceptées et les potentielles conséquences de ces dernières…

Adoption de la « loi Duplomb » : qu’en est-il?

1. Rappel du parcours législatif du texte
En premier lieu, il semble pertinent de rappeler l’historique de ce projet de loi depuis sa proposition jusqu’à son adoption.

Comme l’illustre la ligne du temps ci-dessous, le texte originel a fait l’objet de premières modifications qui ont été acceptées au Sénat début 2025. D’autres modifications ont été proposées auprès de l’Assemblée nationale qui les a rejetées. De nouvelles modifications ont été proposées par la Commission paritaire mixte du Sénat et une version finale a finalement été adoptée.

Ligne du temps de l’historique législatif de la proposition de loi Duplomb

2. Reprise point par point des modifications apportées

Quelles ont été les modifications apportées pour chaque article de la proposition de loi ?

Article 1 – Concernant l’accès aux produits phytopharmaceutiques (PPP)

Cet article concerne l’autorisation du cumul des activités de conseil et de vente des PPP. Lors du débat en Assemblée nationale, ce point a été clarifié : seuls les produits utilisés en agriculture biologique, les produits de biocontrôle et ceux à faible risque sont concernés par ce point. Concernant les produits conventionnels, la séparation des activités est conservée voire même renforcée : le conseil de PPP doit être réalisé dans un cadre plus strict (preuve écrite, facturation séparée) et doit s’inscrire dans un objectif de réduction des risques liés à l’utilisation des produits conseillés, pour la santé humaine et l’environnement.

L’Article 1 prévoit la mise en place d’un conseil stratégique. Celui-ci reprend un plan d’action pluriannuel pour la protection des cultures de l’exploitation agricole, fondé sur un diagnostic prenant en compte les spécificités de l’exploitation.

Toujours selon l’Article 1, les conseillers devront suivre un module spécifique d’aide à l’élaboration de la stratégie pour une exploitation agricole en matière d’utilisation de PPP dans le cadre de leur formation « Certiphyto ».

Article 2 – Concernant l’utilisation de produits phytopharmaceutiques (PPP)

Initialement, l’Article 2 autorisait le ministre chargé de l’agriculture de suspendre les décisions de l’ANSES dans certaines conditions. Cette proposition a été refusée et l’indépendance de l’ANSES est conservée.

D’un autre côté, l’Article 2 prévoit de s’aligner sur les exigences européennes concernant l’utilisation de l’acétamipride. Cette substance est effectivement autorisée jusqu’en 2033 sur le territoire de l’UE. L‘Article 2 prévoit l’utilisation de l’acétamipride sous dérogation, si et seulement si la filière qui utilise cette substance répond aux conditions suivantes :

  • Les alternatives disponibles sont inexistantes ou manifestement insuffisantes,
  • Un plan de recherche sur les alternatives à l’utilisation d’acétamipride existe,
  • L’acétamipride reste autorisée à l’échelle européenne

L’Article 2 précise que cette dérogation doit prendre en considération la gravité des enjeux et des conséquences économiques de la filière concernée, déterminée par l’INRAE.

Par ailleurs, cet article prévoit l’autorisation de l’utilisation de manière encadrée de drones pour la pulvérisation de PPP. Le recours aux drones sera autorisé pour les produits utilisés en agriculture biologique et ceux à faibles risques, sur les parcelles agricoles comportant une pente supérieure ou égale à 30% sur les bananeraies et sur les vignes-mères de porte-greffes conduites au sol. Pour toute autre utilisation, l’utilisation devra être intégrée dans un programme étalé sur 3 ans, autorisé par l’ANSES.

Deux mesures supplémentaires ont été finalement rajoutées à cet article :

  • L’interdiction de la production, du stockage et de la circulation de substances actives ayant fait l’objet d’un refus ou d’un non-renouvellement au niveau européen.
  • L’inscription dans la loi d’un comité des solutions à la protection des cultures. Ce comité réunira agriculteurs, chercheurs, instituts techniques et divers ministères autour d’un objectif partagé : l’anticipation des contraintes techniques liées à la protection des cultures ainsi que l’apport de solutions concrètes et durables.

Article 3 – Concernant les procédures environnementales en matière d’élevage

Afin d’alléger les contraintes administratives des éleveurs :

  • La réunion publique liée à l’instauration d’un projet d’élevage agricole habituellement prévue pourra être remplacée par une permanence incluant au moins une journée dans la mairie de chaque commune du lieu d’implantation du projet.
  • Concernant les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) dont font partie les élevages agricoles, les seuils seront alignés aux seuils européens. Par conséquent, certains élevages (à l’exception des élevages intensifs) seront dorénavant sous le régime d’enregistrement et non plus d’autorisation, ce qui permet d’alléger les procédures administratives liées aux élevages de grande taille.

Article 4 – Concernant la mise en place de modalités effectives de recours en cas de contestation d’évaluation des pertes de récolte ou de culture

Un alinéa précise désormais la mise en place d’un plan pluriannuel de renforcement de l’offre d’assurance récolte destinée aux prairies. Concernant les pertes de récoltes liées aux cultures, le plan pluriannuel étudie la possibilité de réunir différents acteurs à chaque fin de campagne de production, sur demande des organisations syndicales d’exploitants agricoles représentatives, afin de présenter et expliquer les résultats.

Article 5 – Concernant la gestion des eaux

Seuls les projets de stockage de l’eau sont conservés et dorénavant considérés comme des projets d’intérêt général majeur, dans les zones en déficit quantitatif d’eau compromettant le potentiel de production agricole. De plus, la définition de la zone humide n’a pas été ajustée et conserve son statut initial.

Article 6 – Concernant les procédures administratives

Les agents de l’Office français de la biodiversité devront désormais porter une caméra individuelle afin d’enregistrer leurs interventions et ainsi prévenir tout incident. Le point sur la mise en oeuvre d’une procédure administrative plutôt que judiciaire n’a pas été abordé au cours des différents débats, il faudra attendre la sortie du texte officiel pour savoir si cet amendement a été accepté.

3. Les potentielles conséquences de cette « nouvelle loi »

En résumé : Si la conservation de l’indépendance de l’ANSES et le refus de l’ajustement de la définition des zones humides semblent être des points positifs, cette loi ne parait pas être de bonne augure…

Les nombreuses alertes lancées par la communauté scientifique et les apiculteurs concernant les dangers de l’utilisation de l’acétamipride ne semblent pas avoir atteint les députés favorables à la mise en place de cette loi. Ainsi, sous le couvert d’une dérogation, une substance officiellement reconnue comme neurotoxique par de multiples études scientifiques sera donc ré-autorisée dans le système agricole français après une interdiction justifiée il y a plusieurs années. Il s’agit là d’un triste retour en arrière qui aura certainement de lourdes conséquences environnementales, notamment sur la santé des pollinisateurs mais également sur la santé humaine. 

Concernant la gestion des ressources en eau, le statut d’intérêt général majeur donné aux projets de stockage d’eau pour l’agriculture risque d’engendrer plusieurs perturbations dans le futur. Ce statut particulier confère plus de droits sur les plans juridique, environnemental et politique de tels projets, comme par exemple une justification ou « passe-droit » pour des dérogations face à certaines lois de protection de l’environnement. Cela signifie concrètement qu’un projet de stockage peut être autorisé même s’il porte atteinte à la biodiversité. Bien que, le texte en lui même ne cite pas les mégabassines, la définition de projet de stockage d’eau laisse la porte ouverte à la mise en place de ces bassins hors-normes, dont le cadre d’installation, de prélèvement et de stockage d’eau est encore incertain.

Dans l’ensemble, la réduction annoncée des contraintes pour les agriculteurs semble plutôt superficielle. Ce projet de loi ne répond pas réellement aux besoins du secteur agricole : garantir un revenu digne et juste, mettre un terme à la concurrence déloyale des produits importés… Il favorise plutôt les grosses industries agricoles ainsi que le domaine de l’agrochimie. L’un des initiateurs du projet de loi le dit lui-même :

« Cette loi ne s’adresse pas à tous les agriculteurs… »

– Monsieur Laurent Duplomb

Cette loi semble renforcer un clivage tant au sein du secteur agricole (entre les petits et les grands producteurs) qu’entre l’agriculture et l’environnement. Et pourtant :

« Ce n’est dans l’intérêt de personne d’alimenter ces clivages alors que nous avons un besoin impératif de réconciliation… »

– Monsieur Eric Martineau

Visiblement, les appréhensions communiquées par la communauté scientifique, les docteurs, les apiculteurs, les agriculteurs et le grand public n’ont pas été prises en compte. Toutefois, l’affaire est loin d’être terminée. Lors du débat de l’Assemblée nationale, Madame Mélanie Thomin (Parti Socialiste) a annoncé que son parti déposerait un recours au Conseil Constitutionnel. Le parti socialiste ne sera pas le seul, les députés Écologistes, Insoumis et Communistes désirent également saisir le Conseil Constitutionnel.

La question pour le Conseil sera de déterminer si la proposition de loi est bel et bien conforme à la Charte de l’environnement de 2005 en raison des principes de précaution et de non-régression environnementale. Ce recours sera-t-il entendu? Il s’agit là (encore), d’une affaire à suivre.