Dans le cadre du Pacte vert européen, la stratégie « de la ferme à la fourchette » joue un rôle clé et vise à accélérer la transition vers un système alimentaire durable. La réforme de la PAC et des règles européennes en matière des pesticides (Directive de l’Utilisation durable des pesticides « SUD ») permet d’appuyer cette transition vers un système agricole plus respectueux de l’environnement, de l’ensemble de la biodiversité mais également de la santé humaine.
Dans ce contexte de transition agricole, le Bureau Européen de l’environnement (EEB), CCFD-Terre Solidaire et SOS Faim Belgium avec le soutien des verts/EFA et de la gauche du parlement Européen ont organisé ce 16 Mars dernier une conférence reprenant un état des lieux de la situation européenne et mondiale en matière de pesticides ainsi que sur les principaux enjeux actuels du secteur agricole européen.
Voici un résumé des sujets évoqués lors des débats et des tours de tables de cette conférence.
Les pesticides et les droits humains
En plus d’être en partie responsables du déclin des insectes, des oiseaux et de la biodiversité, les pesticides ont également des conséquences néfastes non négligeables sur la santé humaine. Beaucoup de maladies (dont des maladies létales), de dérèglements endocriniens (ex : des problèmes d’infertilité) sont dus aux pesticides (1). Cette constatation impacte directement les droits humains, notamment le droit de vivre dans un environnement sain (1, 5). L’ensemble de la population rurale se trouve dans un piège industriel (3)! Parmi les victimes des pesticides, les travailleurs agricoles (3) et plus particulièrement les agriculteurs des pays pauvres sont touchés (1). Actuellement, les processus d’homologation de mise sur le marché des pesticides ne protègent pas les agriculteurs (6) et les employés agricoles utilisant des pesticides doivent payer pour s’informer (4). Au Brésil, les pesticides sont carrément utilisés comme armes dans les zones en conflit. Les communautés indigènes trop proche des grandes cultures sont impactées par les traitements aériens. Il est grand temps que les décideurs politiques prennent en compte les preuves scientifiques de l’impact des pesticides sur la santé humaine et l’environnement (5).
Le sujet de l’exportation hors EU des pesticides interdits en Europe.
L’union européenne est l’un des plus gros exportateurs de pesticides à l’étranger (en plus d’être un des plus gros consommateurs). Parmi les pesticides produits en EU et exportés à l’étranger, environ 40 d’entre eux sont interdits sur le sol européen (1). Cette situation est totalement paradoxale d’un point de vue éthique mais aussi d’un point de vue sanitaire pour le consommateur européen. En effet, afin de nourrir le bétail, l’UE importe de grandes quantités de soja brésilien qui ont été traités avec des pesticides interdit en Europe mais exportés au Brésil (11). Après l’interpellation de la commission européenne par les députés, cette exportation devrait cesser d’ici 2023. En France, le conseil constitutionnel a déjà demandé de ne plus produire les pesticides non autorisés sur le territoire français (9). Cette interdiction provoque une énorme pression des lobbys des pesticides (13). Dès lors, il est important de compléter cette mesure par des mesures miroirs et par une régulation internationale. Une mesure miroir consisterait par exemple à interdire l’importation de l’alimentation ou l’on retrouve des pesticides. La régulation internationale permettrait d’éviter que le secteur des pesticides se réorganise et se relocalise dans les pays du sud en voie de développement.
Les dirigeants du système agricole actuel
Les principaux acteurs du milieu agricole sont aujourd’hui l’industrie agricole, l’industrie de l’agroalimentaire, et l’industrie de la chimie. (7) Ce sont les grands gagnants du système actuel. A titre d’exemple, seulement 4 firmes (Bayer, BASF, Syngenta/ChemChina et Corteva Agriscience) possèdent les 3 quarts du marché des pesticides et presque 60% du marché des semences agricoles. Étant donné que toutes ces multinationales ne sont pas basées en Europe, certaines décisions agricoles en Europe sont fortement influencées par des entités hors Europe (2). Pour s’affranchir de ce système et être indépendant vis-à-vis de ces multinationales, il faut faire des semences qui n’ont pas besoin de pesticides (10)! Enfin, La PAC n’est plus une politique d’orientation mais a été confié au marché (7).
Les pesticides comme un atout indispensable pour éradiquer la faim dans le monde : Une fausse idée
Le système de production actuel (modèle agro-industriel dont fait intégralement partie l’utilisation des pesticides) n’a pas rempli les objectifs pour lesquels il avait été créé au 20eme siècle. Il ne permet effectivement pas de nourrir l’ensemble de la population. L’insécurité alimentaire touche 40% des personnes dont la majorité sont des agriculteurs. L’idée que les pesticides sont un outil pour lutter contre la faim dans le monde est fausse car la faim est toujours bel et bien là malgré leur utilisation (2). Ils sont donc injustifiables (5). De plus, la production moderne (dépendante des pesticides) a entrainé une résistance des ravageurs, une dégradation du sol et de la biodiversité et aussi la destruction des ressources naturelles utiles pour la production agricole, ce qui impacte directement et négativement les rendements agricoles.
La rentabilité économique du modèle agro-industriel
Les ONG Basic, CCFD-Terre Solidaire et Pollinis ont publié une analyse des couts et des bénéfices du secteur des pesticides. Il en ressort que les profits sont deux fois inférieurs aux investissements nécessaires, ce qui ne justifie pas l’utilisation des pesticides d’un point de vue économique (2). Le secteur ne serait donc pas rentable économiquement aujourd’hui sans les aides officielles (5). Cependant, la PAC (récemment signée) continue de perfuser économiquement les pratiques agricoles dépendantes des pesticides (6). Cette enveloppe budgétaire n’est dès lors pas disponible pour mettre en avant les solutions alternatives de système agricole (6)!
De plus, bien que les profits du secteur des pesticides se concentrent de plus en plus dans les mains de quelques multinationales, c’est la société qui doit faire face aux énormes couts liés directement aux externalités négatives de leur utilisation. Le principe du pollueur-payeur devrait être d’application (6).
Enfin, pour défendre leurs intérêts, le secteur des pesticides dispose de lobby à large échelle ciblant les autorités publiques. Les dépenses en rapport avec le secteur du lobby approchent les 10 millions d’euros par an, montant supérieur au budget des autorités de la sécurité alimentaire européenne (EFSA) dédié à la régulation des pesticides.
La transition vers un modèle agricole plus durable et plus autonome.
Il est nécessaire de remettre en question le modèle agricole actuel (monoculture, industrialisation) qui nécessite l’utilisation de pesticides (3) et qui est vulnérable par sa dépendance au reste du monde (2,6). La réelle transition agricole consiste à changer de modèle de production et non pas à optimiser le modèle agricole actuel (2). Pour réellement faire face aux pesticides dans le monde entier, il faut créer un système agricole qui n’en est pas dépendant (14). Tous les intervenants présents lors de la conférence s’accordent pour dire qu’il est nécessaire de diminuer l’utilisation des pesticides de 50% pour 2030 ! Il faut revenir à un système agricole composant dans une logique agronomique où les principaux dirigeants ne sont pas l’agro-industrie et l’agrochimie qui coupent le lien entre l’agriculture, la biodiversité et la santé (7). Dans ce contexte de transition, il est révoltant que la crise ukrainienne soit utilisée comme motif pour retarder les ambitions de la stratégie « de la ferme à la fourchette » ! (6, 12) Si les objectifs de cette stratégie étaient d’application, nous ne serions surement pas autant impactés par les diverses crises tels que le COVID ou le conflit Russie-Ukraine (6).
En quittant ce modèle agricole, il faut mettre en place un nouveau système qui met en avant la santé humaine, les droits des citoyens et l’environnement (5). Selon la majorité des intervenants, l’agroécologie répond à ces principaux objectifs. Dans cette transition vers un modèle agricole plus durable, il est primordial d’accompagner les travailleurs agricoles (4). D’un point de vue de lutte contre les ravageurs, il est déjà prouvé qu’il est possible de produire plus durablement et sans pesticides dans plusieurs pays du monde (6). Cependant, il faut développer des solutions de traitements biologiques (avec des microorganismes) pour donner plus d’outils aux agriculteurs pour protéger les cultures à la place des produits chimiques (8).
D’un point de vue économique, l’investissement pour une transition écologique est réaliste. Selon l’INRAE, les investissements annuels nécessaires pour tripler le nombre de fermes biologiques d’ici 2030 sont inférieurs au cout de la société lié aux pesticides.
Cependant, malgré tous ces arguments, nos institutions continuent de soutenir les principaux piliers du secteur des pesticides. De plus, la transition est affectée par le flou des décideurs politique. Il y a une nécessité à ce que les décideurs soutiennent d’avantage la stratégie « de la ferme à la fourchette » (3) et que les fonds officiels soient redirigés vers un support massif pour l’agroécologie (5). En 2022, les États membre vont devoir assumer leurs responsabilités et choisir entre un modèle couteux et polluant (dont les bénéfices sont concentrés pour quelques firmes) ou un modèle agroécologique durable à la fois pour les citoyens et les agriculteurs.
Références :
- Dr Marco A.Orellana, Specila Rapporteur on toxics and human right
- Christophe Aliot, Researcher, BASIC
- Pier Francesco Pandolfi de Rinaldis, coordinator of Associazione Rurale Italiana (ARI) of Trentino province, membre of ECVC
- Enrico Somaglia, Deputy Secretary General, EFFAT
- Eva Corral, Senior Policy Officer on Pesticides and Water Pollution, EEB
- Benoit Biteau: The Greens/EFA
- Eric Andrieux : S&D
- Domenico Deserio : policy Officer Pesticides, Directorate-General for Health and Food Safety, European Commission.
- Michèle Rivasi : Member of the European Parliament, The Greens/EFA
- Famara Diédhio: Programme Officer West Africa, Alliance for Food Sovereignty in Africa (AFSA).
- Larissa BOMBARDI : Professor & Researcher of Sao Paulo University.
- Nina Holland: Researcher at CEO & Carla Hoinkes, food and agriculture specialist, Public Eye.
- Maureen JORAND : food sovereignty policy officer, CCFD-Terre Solidaire
- Anja Hazekamp: GUE/NGL: