L’implantation de ligneux dans le paysage agricole, bénéfique pour les pollinisateurs mais pas seulement…

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Dans le cadre du salon Valériane du 2,3 et 4 septembre qui a eu lieu à Namur Expo, Mr de Streel (AWAF) a donné une conférence relative à l’agroforesterie. Pour rappel, cette dernière peut se définir comme l’association de ligneux (arbres ou haies) au système agricole.

Les avantages de la présence de ligneux dans un paysage agricole.

L’implantation de ligneux dans le paysage agricole présente de nombreux avantages pour la biodiversité mais également d’un point de vue agronomique : une meilleure gestion des flux d’eau, une meilleure séquestration de carbone, la création de microclimats, un meilleur effet d’ombrage, une ressource fourragère lors de grandes sécheresses, un bien-être animal amélioré et enfin un terreau fertile pour accueillir les principes de « lutte intégrée ».

Biodiversité

L’implantation d’arbres et de haies dans le paysage agricole est bénéfique pour l’entomofaune pollinisatrice car elle permet l’augmentation de la ressource mellifère (nectar et pollen), de la ressource immunitaire (propolis) et offre en habitat pour certaines abeilles sauvages. D’un point de vue connectivité et maillage écologique, les haies favorisent et facilitent le déplacement des espèces, ce qui permet un brassage génétique pour des populations qui étaient jusque-là isolées. Enfin, les éléments ligneux du paysage créent une certaine diversité en terme d’habitats, en modifiant localement certains paramètres environnementaux tels que la température, l’humidité, la luminosité, la vitesse du vent, etc. Cette diversité en terme d’habitat augmente la diversité d’espèces du milieu.

La gestion des flux d’eau

L’implantation de ligneux en paysage agricole permet de lutter contre les inondations, les érosions et les coulées boueuses à plusieurs niveaux. Dans un premier temps, les zones enherbées non travaillées au pied des arbres favorisent la pédofaune (vers de terre,…) et donc la porosité du sol, ce qui, in fine, permet une meilleure infiltration de l’eau. Cette dernière est également augmentée grâce aux racines des arbres et des haies qui créent des chemins d’écoulement et d’infiltration préférentiels de l’eau. De plus, les racines des arbres présentes en profondeur y assèchent localement le sol, ce qui forme des zones de sècheresse et permet d’y attirer l’eau par capillarité.

En matière d’érosion et d’écoulement boueux, les bandes enherbées et la présence d’éléments ligneux ralentissent les flux d’eau, ce qui favorise la sédimentation des particules de sols et in fine mène à une filtration des flux d’eau. Après le passage au travers d’une haie et d’une bande enherbée, l’eau en ressort moins chargée en particule et donc moins « boueuse ». Il est aussi possible de faire plusieurs rangs d’arbres serrés pour constituer des dispositifs anti-érosifs.

La séquestration du carbone

Les éléments ligneux grâce à la photosynthèse captent du carbone atmosphérique et le stock in fine dans le sol lors de la chute des feuilles ou de la mort de leurs racines fines.

La création d’un micro climat

Les éléments ligneux du paysage permettent la création de micro climats. A titre d’exemple, un effet d’ombrage peut être créé et la vitesse du vent peut être diminuée grâce à une structure ligneuse semi perméable.

Pour la vitesse du vent, l’effet « brise vent » varie en fonction de la taille et de la porosité de la haie. Une haie trop perméable ne permet pas de freiner le vent et une haie complètement imperméable (haies de tuya) est source de turbulence et d’effets tourbillonnants. Différents profils de réduction du vent peuvent être observés en fonction de la hauteur et la porosité de la haie (voir l’image ci dessous). La porosité idéale se situe entre 10 et 30%. Pour les arbres isolés, l’effet brise vent est négligeable.

Crédits: Géraud de Streel (Salon Valériane).

D’autre part, les éléments ligneux peuvent être à l’origine d’un certain effet d’ombrage. Ce dernier peut être néfaste en terme de développement des cultures (qui ont longuement été sélectionnées pour augmenter le rendement en condition de milieu ouvert) mais peut être très utile en cas de forte chaleurs pour protéger le bétail. Pour les productions fourragères, elles sont cependant souvent de meilleures qualités lorsqu’elles sont à l’ombre que lorsqu’elles sont en plein soleil.  Pour les cultures, certains effets indésirables tels qu’une hétérogénéité dans les dates de maturation des récoltes peuvent être observés à cause de l’effet d’ombrage. Des alternatives existent tout de même pour minimiser ces effets indésirables. Un premier réflexe consiste par exemple à orienter la haie selon un axe « Nord-Sud ». Il est aussi possible de sélectionner des essences arbustives qui laissent passer le soleil en début de saison lorsque les cultures en ont fortement besoin pour leur bon développement. C’est par exemple le cas du noyer qui débourre très tard. Enfin, certains agriculteurs décident de cultiver la parcelle lorsque l’effet d’ombrage n’est pas trop important et d’en faire une prairie par la suite, l’effet d’ombrage étant alors positif pour le bétail.

Bien-être animal 

Selon le Code wallon du bien-être animal, tout animal en prairie doit bénéficier d’une protection contre le soleil. Les haies et les arbres peuvent jouer ce rôle, notamment en offrant des zones d’ombres et en tamponnant (inertie thermique) le milieu (température, humidité, rayonnement au sol). En cas de canicule, on peut prévoir 3 à 6 degrés en moins sur des prairies bénéficiant d’arbres.

Ressource en fourrage ligneux 

Le fourrage ligneux (basé sur les feuilles de ligneux) peut être très intéressant au milieu de l’été, lorsqu’il n’y a plus d’herbe pour le bétail mais que les arbres sont encore verts. Les éleveurs peuvent alors utiliser ce fourrage ligneux au lieux de consommer une partie des réserves prévues pour l’hiver. Les 2 critères pour un fourrage de bonne qualité sont la matière azotée totale (protéines) et la digestibilité pour l’animal. En fonction des essences, les fourrages ligneux satisfont plus ou moins bien à ces 2 critères de qualité (voir l’image ci dessous). Un autre critère important est l’appétence du fourrage et il s’est avéré que les feuilles de peupliers attirent bien le bétail. En terme de propriétés, le fourrage ligneux contient du tanin et le bétail peut y trouver des substances à vertus médicinales.  Le tanin se lie aux protéines lors de la digestion et réduit le taux de parasitisme intestinal et donc le taux d’infestation des prairies. Il permet aussi de limiter les gaz à effet de serre des animaux. En terme de propriété médicinales, le fourrage ligneux est très riche en Oligo-éléments, ce qui est bénéfique pour le bétail laitier. De plus, certains bourgeons contiennent d’impressionnantes quantités de substances actives (800 pour les bourgeons de chêne). De manière naturelle, on peut observer que le bétail va choisir une partie de l’arbres en particulier pour son alimentation (ex : bourgeon). Enfin, il existe une grande diversité dans les qualités des fourrages des arbres. L’idée n’est pas de nourrir le bétail avec du fourrage ligneux lorsqu’il y a de l’herbe mais bien lorsque cette dernière se fait rare. Il faut tout de même protéger les souches de peupliers et la flore de l’animal doit s’adapter légèrement.

Crédits: Géraud de Streel (Salon Valériane)

Lutte intégrée 

Il est intéressant d’installer plusieurs lignes de haies séparées par une certaine distance pour que les carabes puissent se déplacer. L’effet des carabes s’étend à 30 m de part et d’autre de la haie.

Une valorisation économique

Une fois que les essences ligneuses ont atteint une certaine taille, elles peuvent être valorisée en tant que bois de chauffage, ce qui représente un certain gain économique étant donné l’augmentation du prix de l’énergie.

La présence de ligneux dans les paysages agricoles, une image du passé ?

L’inconscient collectif a souvent tendance à associer l’agroforesterie avec des paysages agricoles d’antan. Or, ce n’est pas nécessairement le cas. Seuls quelques systèmes agricoles d’antan contenaient des ligneux.

Les hautains : Ce sont des systèmes agricoles anciens qui existent depuis le Moyen-Âge. Les arbres fruitiers à hautes tiges permettent de faire monter la vigne et sont incorporés dans une culture de céréales. Ces systèmes agroforestier ont longtemps été utilisés autour du bassin méditerranéen.

Crédits : Géraud de Streel (Salon Valériane)

Les systèmes agroforestiers : Ce sont des systèmes similaires à ceux dans lesquels sont aujourd’hui élevés les porcs pour la pata negra.

Crédits : Géraud de Streel (Salon Valériane)

Les haies plessées : ces haies permettent d’obtenir une clôture très efficace et vivante en courbant les arbres de la haie après les avoir entaillés. Cette méthode demande un entretien minime et beaucoup moins fréquent que les clôtures mortes, le plessage se faisant tous les 20 ans.

Crédits: Géraud de Streel (Salon Valériane)

Les Dehesa : ce sont des pâtures en sous-bois clairsemés. Ils étaient fort présents dans le bassin méditerranéen.

Enfin, il existait déjà à l’époque des systèmes agricoles complètement ouverts (open field). Le système actuel n’est donc pas uniquement la cause du remembrement. Au Moyen-âge, ces systèmes étaient très répandus et les champs étaient divisés en trois avec une rotation triennale: céréales de printemps, céréales d’hiver et jachère (avec bétail). La relation arbre – culture varie donc dans le temps et dans l’espace.

Crédits : Géraud de Streel (Salon Valériane)

Les freins à l’installation de haies et de ligneux dans le paysage agricole

Beaucoup de personnes refusent l’installation de ligneux dans leur paysage agricole car elle le justifient comme étant une pratique agricole vétuste et démodée. Dans certaines zones de Wallonie, le frein pour l’implantation de haies ne vient pas du milieu agricole mais bien des naturalistes car la présence d’arbre dans certaines régions nuit à certaines espèces animales qui ont besoin d’espaces ouverts.

Les facteurs qui influencent la présence d’une sorte de ligneux

Outre les contraintes pratiques, la présence de ligneux dans le paysages dépend aussi de plusieurs facteurs et du contexte:

  • Les facteurs pédoclimatiques

Les ligneux ont des besoins spécifiques en climat et en sol et leur présence dépend donc du contexte pédoclimatique. Cependant, le contexte pédoclimatique n’explique pas à lui tout seul la présence d’un système ou d’un autre. On peut retrouver plein de diversité de ligneux dans une même zone et inversément.

  • Les objectifs agricoles

Dans une même région pédoclimatique, on peut retrouver différents systèmes qui ont des objectifs différents.

  • L’évolution des pratiques agricoles

Pour le travail du sol, l’utilisation de charrues de plus en plus lourdes (pour un travail du sol de plus en plus profond) nécessite de plus en plus de bœufs pour la traction animale. Le système devient moins manœuvrable et les champs sont tirés en longueur pour faire le moins de demi tours possible. Les champs se sont adaptés à l’outil et des haies ont été détruites lors de l’agrandissement des parcelles à cette époque. 

  • Le contexte

Dans un contexte de production et d’augmentation du rendement (influencé par la PAC) beaucoup de haies ont été arrachées pour optimiser l’agriculture. Aujourd’hui, dans un contexte de réchauffement climatique, de déclin de la biodiversité, de taux extrêmement faibles de MO dans les champs, on recommence à planter des haies. En Wallonie, 90% des sols sont en dessous de 20g de Carbone par kilo de sol, cette concentration de carbone étant le seuil à atteindre pour une bonne stabilité structurale du sol.

Quelques documentations intéressantes:

https://www.fichierecologique.be/#!/