Frelon asiatique: s’inspirer de la France?

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La présentation de l’initiative privée de l’association Bees For Life vendredi soir a soulevé beaucoup de questions. Vu de Belgique, on a pu prendre conscience du brouillard français en matière de gestion et de prise en charge du frelon asiatique, à commencer par la destruction des nids. Cela peut constituer une base pour réfléchir à la meilleure manière de procéder ici. L’avantage de la Belgique est la taille de son territoire qui permettrait de mieux centraliser la gestion des destructions de nids par exemple. Qu’en sera-t-il dans la réalité?

La technologie et le numérique sont-ils des solutions?

La question du signalement des nids via une plateforme simple ou très aboutie semble acquise. C’est mieux si une seule plate-forme de référence existe. Rien qu’en Belgique, certains passent par la plate forme des naturalistes. D’autres préfèrent le site d’encodage du Service Public de Wallonie. Du côté néerlandophone, on utilise le site du projet de science participative appelé Vespa-Watch. En France, on ne compte plus les sites et les applications de signalement, parfois bien moins abouties que celle présentée par Bees For Life qui intègre à peu près tous les paramètres nécessaires au passage à l’action. Bien des nids passent à travers les mailles du filet, soit parce que, quoi qu’on en dise, il y a encore une frange non négligeable de la population qui n’est pas à l’aise avec Internet ou qui, tout simplement, ne sait pas se servir des outils numériques. Il ne faut donc pas négliger les numéros d’appels pour signalement même s’ils ne permettent pas de vérification visuelle via photo avec le risque qui s’en suit de perte de temps et d’argent. Tout ceci nécessite quoi qu’il en soit une gestion en aval pour s’assurer des données du signalement et rediriger vers un destructeur de nid. Il faut identifier le type de nid (primaire, secondaire), l’endroit précis où il est situé, faire appel aux désinsectiseurs après un appel à la concurrence (au moins 3 noms), étudier les devis, envoyer la facture… Du travail, donc.

Qui prend en charge les nids signalés en France?

A cette complexité du signalement s’ajoute l’ambiguïté au niveau de la destruction des nids signalés. Qui doit intervenir pour la destruction des nids? Que dit la loi? Comment cela se présente-t-il dans la réalité?

Si l’on reprend l’exemple français, l’Etat n’intervient pas et laisse la liberté d’agir aux collectivités territoriales de la République: le département, la commune. La question du frelon asiatique relève de deux cadres règlementaires différents. L’animal est classé dans la liste des espèces exotiques envahissantes (article L.411-8 du code de l’environnement) et dans la liste des dangers sanitaires de deuxième catégorie pour l’abeille domestique sur tout le territoire français (arrêté du 26 décembre 2012). C’est donc le préfet qui dispose de l’autorité administrative pour décider les modalités d’actions de la lutte anti-frelon. Un arrêté préfectoral choisit les acteurs, les espaces d’intervention prioritaires, les moyens, etc. Ils peuvent ordonner les destructions de nids sur des propriétés privées et les modalités de financement de ces destructions. La destruction des nids reste à la charge des particuliers et ses coûts peuvent être, le cas échéant, pris en charge en tout ou partie par des financements locaux émanant de collectivités territoriales. Ainsi, sous l’influence des apiculteurs et souvent mus par leurs propres convictions environnementales, certains maires agissent au niveau local et les communes prennent en charge tout ou partie des frais relatifs à la destruction des nids.

Les Groupement de Défense Sanitaire des Abeilles (GDSA) présents dans chaque département apportent un soutien direct aux apiculteurs. Ils mettent en place des stratégies de lutte locales et sont les interlocuteurs privilégiés des collectivités territoriales. Certains interviennent financièrement dans la destruction des nids via la cotisation des apiculteurs.

La stratégie nationale française mise en place en 2022 comporte des actions financées à deux niveaux :

  1. Une méthode concernant le piégeage des fondatrices au printemps et le développement d’un protocole pour la destruction de nids par appâts empoisonnés. Le premier volet des travaux concernant le piégeage a montré que le nombre de nids du frelon asiatique décroît significativement lorsque la méthode est conduite durant plusieurs printemps successifs, avec un maillage spatial fin et régulier (plus de 200 pièges répartis de façon homogène sur environ 10 km2 autour d’un rucher à protéger).
  2. La vérification de l’efficacité d’appâts empoisonnés et leurs impacts sur l’environnement. Ce projet devrait permettre de proposer une méthode alternative au fipronil (hautement toxique) utilisé sans autorisation pour lutter contre les frelons.

Le frelon asiatique n’est pas réglementé par le Ministère de la santé au titre des espèces nuisibles pour la santé humaine puisque les données des centres anti-poisons ne relèvent pas de danger supérieur en rapport à d’autres hyménoptères (frelon européen, guêpes, etc).

En résumé, il n’y a en France aucune stratégie complètement collective efficace pour prévenir, surveiller, lutter contre le frelon asiatique et donc pour réduire son impact sur les colonies d’abeilles mais aussi plus globalement sur l’entomofaune. Les autorités françaises financent des actions de recherche pour trouver des méthodes de lutte plus efficaces. La dynamique de propagation du frelon asiatique freine toute volonté de lutte directe et les autorités renvoient les apiculteurs à la seule protection des ruchers même si, dans les cas de fortes prédations des nids, aucun système ne fonctionne dans l’absolu et les apiculteurs sont bien souvent contraints à déménager leur rucher au-delà de 2 kilomètres.

Et en Belgique?

Jusqu’au 31 décembre dernier, la destruction des nids signalés sur la plate-forme du Service public de Wallonie était prise en charge par la Wallonie. Pour l’instant aucun accord n’a été trouvé entre le Ministère de l’agriculture et le Ministère de l’environnement concernant ce dossier. Qui prend les frais en charge? Qu’est-ce qui est pris en charge?

La lutte contre le frelon (hors informations ponctuelles entrant dans les missions du CARI) ne reçoit plus de subsides dans le cadre de l’intervention sectorielle (PAW 2023-2027-budgets EU pour la Wallonie). Un subside est versé au CRA-W dans le cadre du volet 2 du projet Bee Wallonie. Ce subside est destiné à poursuivre la formation des neutraliseurs de nids et le suivi des nouvelles techniques en la matière. Ce subside servira aussi à mettre en place une approche scientifique du problème :

  • Mesure d’efficacité des muselières à grillage et piège Belgian Trap ;
  • Mise en place d’un protocole d’action collective pour le piégeage de printemps (réseau, matériel, appât…).

Il est important de s’inspirer des failles du système français pour adopter des mesures adaptées au territoire belge et wallon plus spécifiquement. Il semble clair que plusieurs axes d’actions doivent être envisagés conjointement pour freiner l’expansion de l’espèce, aider les apiculteurs à protéger leurs colonies et réduire la pression sur l’entomofaune:

  • la destruction des nids et une décision réaliste pour la prise en charge (au moins les plus problématiques pour la santé humaine et la survie des ruchers);
  • l’organisation des destructeurs de nids et l’encadrement de leurs pratiques (formation et charte de bonne pratique);
  • l’organisation d’un piégeage de printemps collectif pour une efficacité à long terme;
  • la protection efficace des ruchers avec une réflexion sur le réalisme économique des solutions.